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Avremo ancora l'occasione di ballare insieme (Nous aurons encore l'occasion de danser ensemble)


: Note d’intention

PAr Daria Deflorian & Antonio Tagliarini

  • « ... la danse continue. Les deux danseurs sont totalement pris dans leur imitation des deux célèbres stars américaines. Mélancolie, faux pas et gouttes de sueur qui perlent sur le front. À bout de souffle, Marcello perd l’équilibre et glisse sur le sol. “Marcello, c’est vraiment une belle chute...” Elle n’est pas prévue dans le scénario. Mais Fred continuera à tomber encore plusieurs fois, autant de fois que le clap retentira. » Extrait du journal de bord d’un assistant à la réalisation du film

Ginger et Fred, in “Ginger e Fred”, Longanesi 1985


Dans Ginger et Fred (1986) Marcello Mastroianni et Giulietta Masina interprètent un vieux couple de danseurs de claquettes, ayant connu autrefois un succès discret et désormais oubliés de tous. Pippo et Amelia se retrouvent des années plus tard pour participer à un petit intermède nostalgique dans une émission de variétés à la télévision.


Nous aurons encore l’occasion de danser ensemble est un projet qui n’aborde pas tout Fellini ni tout le film. Plus encore que durant notre travail inspiré de Désert Rouge de Michelangelo Antonioni, nous ressentons ici le poids d’aller nous frotter à un monstre sacré, une icône. À l’infini Fellini que Goffredo Fofi a décrit comme étant “notre meilleur anthropologue et l’un de nos plus grands moralistes”.


Notre titre est tiré d’une phrase qu’Amelia dit à Pippo à la fin du film : “Je ne crois pas que nous aurons encore l’occasion de danser ensemble”. L’année de préparation de ce travail a été la deuxième année où, à cause de la pandémie, le monde du spectacle vivant n’a pas pu mener à bien sa mission. Quand nous avons réentendu l’au revoir mélancolique que Giulietta Masina (déjà atteinte de la maladie qui l’emportera quelques années plus tard) adresse à un Mastroianni déboussolé, il nous a été impossible de ne pas penser aussi à nous tous. Et de provoquer une occasion de rencontres. En effet pour nous, cette danse est avant tout dédiée aux artistes, à leur désir d’être quelqu’un d’autre, à leur détermination à jouer durant toute leur vie, à chuter à chaque clap, à mettre dans des détails insensés leur biographie la plus secrète, à leur manière de se démasquer “intentionnellement sans intention” comme l’a dit Fellini à propos du jeu de l’acteur. C’est donc un projet sur Marcello Mastroianni. Sur Giulietta Masina. C’est un projet sur Fred Astaire et Ginger Rogers. C’est un projet sur nous. Un travail sur le couple et un travail sur le dialogue. Le dialogue comme possibilité d’avancer ensemble, de produire des actions, même imaginaires.


Comme dans Quasi niente (Presque rien), nous poursuivons notre recherche sur le fil rouge qui unit les générations. Sur scène, il y aura en effet, un couple de trentenaires, un couple de quadragénaires et un couple de sexagénaires, même s’il s’agit en réalité d’un seul et même couple qui traverse les années. Chacun, chacune peut alors dialoguer avec ce qu’il a été et ce qu’il sera à un autre moment de sa vie. En avançant et en reculant dans le temps, comme dans les rêves qui ont été si importants pour le grand réalisateur, au point de les avoir dessinés jusqu’à ses derniers jours.


La scène du film qui nous a marqués est celle du blackout, de la coupure d’électricité qui se produit en pleine émission télévisée.
En effet, dans le film, dès qu’Amelia et Pippo se mettent à danser, une coupure de courant plonge tout le studio télévisé dans le noir de manière déroutante. Pippo tente alors de convaincre Amelia de quitter le plateau, tandis que dans l’obscurité se tisse entre eux deux une étrange, profonde intimité. “Qui sait ce qui peut naître de cette fugue ?” murmure Mastroianni à Giulietta alors qu’ils s’apprêtent à quitter ce show télévisé où ils ne se sentent pas à leur place. Ce noir, ce vide, ce temps suspendu deviennent une occasion d’observer l’autre côté de notre besoin forcené de nous montrer.


Le grand privilège de Federico Fellini a été de pouvoir assister à cette “mutation anthropologique de l’art” au moment même où elle se produisait, mutation qui a conduit à confondre progressivement acte de création et marchandise.
Cette mutation est aujourd’hui largement métabolisée et excessivement intériorisée par les artistes. Et si, pour notre part, nous choisissons de ne pas situer notre travail sur un plateau de télévision c’est parce qu’entre-temps, la télévision dont il est question chez Fellini est elle-même devenue l’un des nombreux hologrammes de la communication globale. En un certain sens, la télévision est partout et nulle part, en aucun lieu. Ou plutôt, le principal lieu où s’accomplit cette aliénation est constitué par nous-mêmes, qui sommes pour la plupart enfants de sa langue et de son imaginaire.
Chez les deux personnages felliniens il demeure un résidu de pureté qui se transforme en révolte, même si c’est une révolte impuissante et prête à fondre au contact de la chaleur du public. Désormais ce résidu de pureté s’est évaporé en une pratique artistique qui ne reconnaît ni un au-delà, ni un ennemi.

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