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Auf dem Land

+ d'infos sur le texte de Martin Crimp traduit par Corinna Brocher
mise en scène Luc Bondy

: Entretien entre Martin Crimp, Luc Bondy et le théâtre

Le Théâtre : Est-ce une douleur, pour vous, d’assister à une répétition de votre pièce ?


Crimp : Lorsque ce sont des répétitions pour la toute première mise en scène d’une pièce, je suis très nerveux. Mais aujourd’hui, je n’ai plus aussi peur que lors des répétitions d’une première mise en scène. Bien que je n’aie vu qu’une heure et demie de répétition, je peux dire que les comédiens sont très bons, c’est beau.


Bondy : Lorsque je mets en scène la pièce d’un auteur contemporain – et il n’y a pas beaucoup de pièces contemporaines que je trouve bonnes –, je n’aime pas être le premier. Parce que dans ce cas-là, j’ai trop de respect pour l’auteur. Souvent, ça n’est pas bon du tout pour le texte, parce qu’on n’est pas libre. Quand je découvre un nouvel auteur – et Martin Crimp est pour moi l’une de ces découvertes –, je ne sens véritablement la pièce que lorsque les comédiens l’ont prise en bouche. C’est seulement lorsque les comédiens prononcent cette pièce que l’on sent l’univers troublant et inquiétant qui se situe sous les mots, et qui constitue l’humus sur lequel grandit le langage. On comprend que les phrases sont les points finaux ou les pointes de beaucoup de choses qui ne sont pas dites tout de suite. Alors je voudrais vous poser cette question : quand vous écrivez une pièce, cette pièce, vous entendez les personnages ?


Crimp : C’est la raison pour laquelle je me suis mis à écrire pour le théâtre. J’aime bien entendre les gens parler ; j’aime bien les voix, le mot parlé dans l’espace. Lorsque j’écris, je me parle à voix haute, ou bien je me parle ce que j’écris. C’est extraordinairement difficile, pour n’importe quel auteur de théâtre, parce qu’il n’existe pas de règles, pas de forme applicable à une pièce de théâtre. On n’a rien avec quoi l’on puisse commencer. Et je crois que c’est avec la langue parlée que l’on commence. J’entends des rythmes parlés et je les développe à ma façon. C’est mon point de départ. Oui, dès le début, c’est une affaire parlée. Ce n’est pas un texte littéraire.


Le Théâtre : Que signifie la campagne, peut-être aussi le mythe de la campagne ou de la vie à la campagne, dans la culture anglaise actuelle ?


Crimp : Je crois qu’il ne déclenche plus autant de fantasmes qu’autrefois, mais beaucoup de personnes qui vivent à Londres ont besoin de quitter la ville et de vivre à la campagne. Les gens font leurs enfants, et ensuite ils éprouvent le besoin de vivre à la campagne. Je trouve cela très singulier. J’ai vécu ma puberté à la campagne ; j’ai tout oublié de la campagne, et je ne me sens absolument pas lié à elle. Plus tard, mes parents se sont retirés dans la petite ville où j’ai fait ma scolarité, et j’ai vraiment été effrayé que ce petit bourg ait pu, à l’époque, constituer tout mon univers. J’y suis revenu, et il m’a fallu cinq minutes pour marcher d’une extrémité à une autre. Je leur en ai voulu, après coup.
Comment peut-on faire grandir un enfant au milieu du néant, dans l’isolement total ? Et je pense qu’une partie de cette expérience très personnelle explique le fait qu’en travaillant sur cette pièce, j’avais une idée très précise de ce que signifie être totalement isolé et coupé de tout. C’est mon histoire personnelle, si vous voulez. J’ai porté mon paysage personnel dans cette pièce dans laquelle je vois des gens qui sont vraiment très, très isolés. Si nous voulons dire quelque chose de plus général sur la campagne – mes connaissances historiques ne sont pas très bonnes, mais je crois que la Grande-Bretagne ou le Royaume Uni a été le premier pays européen a perdre sa structure rurale. En Angleterre, l’industrialisation de l’agriculture a eu lieu plus tôt. Et la campagne a donc très rapidement constitué, pour les citadins, un objet de fantasme : elle est devenu l’imagination des habitants des villes. Pour moi, la campagne, ce sont des rues sombres, des gens dans de très grosses voitures, et pas de trottoirs. Très beau, mais aussi très angoissant : une partie de moi-même trouve la nature effrayante, je ne sais pas pourquoi… Je me trouve toujours beaucoup mieux quand il y a des immeubles à proximité, ou quand des avions volent au-dessus. Quand des gens me racontent qu’ils s’apprêtent à quitter la ville avec leurs enfants pour s’installer à la campagne, je me dis toujours : savez-vous qu’à partir d’aujourd’hui, vous allez payer une fortune en taxi parce qu’il n’y a pas de transports en commun ? En Angleterre, la campagne est un lieu très, très étrange. Pour moi, elle a quelque chose d’irréel.


Le Théâtre : Existe-t-il en Angleterre, comme en Allemagne ou en Suisse, cette glorification de la campagne par les milieux alternatifs, cette espèce de néo-rousseauisme ? Chez Corinne, on le devine lorsqu’elle est émerveillée d’avoir passé l’après-midi sous un arbre.


Crimp : Ça existe déjà, d’une certaine manière, mais l’amour de la campagne est plutôt lié aux désirs bourgeois des gens. Vivre à la campagne, ça veut simplement dire qu’on peut acheter plus de terrain et vivre dans une beaucoup plus grande maison, etc. C’est intéressant, cette différence entre les représentations de la campagne dans les diverses cultures. En Angleterre, la campagne signifie naturellement les collines vertes, l’herbe, les nuages.


Le Théâtre : Dans votre pièce, la campagne est aussi une chose remplie d’histoire, quelque chose qui est lié à des restes historiques, ces découvertes semblent être des fossiles d’émotions. Et la campagne commence donc à vivre d’une manière beaucoup plus urbaine que nous ne l’avons d’abord supposé. Cela devient quelque chose qui se déplace, qui n’est pas toujours identique.


Crimp : Je crois que dans mon esprit, il y a une représentation plus simple, analogue au poème de Kavafi « La ville » qui dit que partout où tu te trouves, tu transportes tes problèmes avec toi. Car tu ne peux pas abandonner ton esprit, ni ton réseau de relations. Bien que ma pièce ne soit pas une pièce moralisante, elle contient cet élément moral. Ce qui était important pour moi, le parallèle entre l’histoire, cette entité abstraite représentée par les choses que l’on trouve dans la campagne, et l’histoire des personnes, et de la signification médicale du mot « histoire ». (Quand on va chez le médecin en Angleterre, quand on raconte de quoi l’on a souffert ces derniers temps, ça s’appelle le taking a history.) Ainsi, pour moi, il y avait dans l’histoire trois significations de l’histoire : celle qu’on étudie en lisant des livres, l’histoire personnelle et l’histoire médicale.


Zürich, le 31 août 2001 ; (programme du Schaulspielhaus de Zûrich)
traduit de l’allemand par Olivier Mannoni

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