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Atteintes à sa vie

+ d'infos sur le texte de Martin Crimp traduit par Christophe Pellet
mise en scène Muriel Imbach

: Intentions

« Notre époque est marquée par un déficit de l’estime de soi, chacun a peur de n’être jamais à la hauteur parce que nous sommes entrés dans une société de compétition généralisée où l’individu est tenu de faire ses preuves en permanence. Et pour ça, il est obligé de s’affirmer par lui-même, alors qu’autrefois l’individu était porté par le groupe, les cadres sociaux, il était défini par la place qu’il occupait. Son chemin de vie était tout tracé, il n’avait qu’à suivre les pas du destin. Aujourd’hui tout le monde doit improviser, faire ses preuves, s’inventer, c’est le prix de l’autonomie et de la liberté. En fait, le doute nous guette en permanence, parce que ce n’est pas simple d’être sujet et acteur de son existence. »
Jean-Claude Kaufmann, sociologue


Comme le dit la citation, chacun est responsable de ce qu’il fait, de ces choix. Anne dit à un moment donné qu’elle aimerait agir comme une machine (p 149). Etre une machine, cela veut dire ne pas devoir décider, ne pas devoir prendre position et surtout avoir une fonction qui n’est pas remise en question, … Et donc ne pas chercher ce que l’on veut vraiment ! Puisque pour une machine, la fonction fait l’être !


Ce thème de la recherche d’identité et d’identification est l’un de ceux sur lequel j’aimerais travailler dans ma mise en scène. Schopenhauer dans ces Aphorismes, distingue l’homme et son identité en en 3 parties :


- Ce qu’on est : la personnalité dans son sens étendu : santé, force, beauté, tempérament, intelligence…
- Ce qu’on a : propriété et avoir de toute nature
- Ce qu’on représente : la manière dont les autres se représentent ce que nous sommes : opinion, honneur, rang, mépris…


En lisant Atteintes à sa vie, nous découvrons différentes représentations de Anne (métiers, famille, etc.) ainsi que certaines de ses possessions (cendrier, sac à dos rouge, arbre…). Or, Crimp ne donne jamais la parole à Anne directement, empêchant le lecteur-spectateur de comprendre ou de prendre parti.


Les voix qui parlent dans les scénarios pourraient être les voix de la fiction, voix de la télévision, de la rumeur publique, du bon sens général, des lieux communs et du consensus, de toutes les "médiations" dont nous faisons finalement partie. Ils racontent "les bonnes histoires" de notre temps, histoires adaptées, normées, enjolivées, recomposées, reconstruites, pourvu qu'elles correspondent quelque part à ce que nous voulons entendre, même (surtout) si elles n'ont plus rien à voir avec l'histoire "vraie" d’Anne !


Et finalement si c’était Anne qui produisait ces images ? Qui rêvait son histoire ? Ses histoires ?
Et si c’était une femme seule et perdue, bercée par la télévision et les magazines, et qui rêve que l’on parle d’elle ? Qui cherche au travers des bonnes histoires et des aventures ce qu’elle est ? Ce qu’elle veut ?
Un personnage qui essaierait d’exister dans le regard et la parole des autres ? Cette idée pousse à la fois à son extrême la question de la quête d’identité liée à celle de la solitude.
Comme Si Anne imaginait les possibilités, qu’ensuite, submergée par son histoire, elle les transposait au futur pour finir par les avoir vécues vraiment, processus typique d’un mythomane qui à force de mentir, finit par croire que tout lui est arrivé.


Ainsi nous avons la Anne rêvée, qui vit des milliers de vies et l’autre, les autres, incapables de se décider... Je pense à ces adolescents japonais qui s’enferment chez leurs parents et ne sortent plus de chez eux : Les « hikikomoris ».


Connectés au monde par la télévision et internet uniquement, ils peuvent certainement se rêver dans une vie telle que celle-ci, tout en restant cloîtrés dans leur chambre.


A un niveau beaucoup moins maladif, Facebook, ou Twitter sont des façons de vivre une autre vie, d’avoir d’autres amis sans sortir de chez soi.
Il y a aussi la question du choix. En quelques années, les possibilités du quotidien ont été démultipliées. Il ne s’agit plus juste de choisir entre la confiture de fraise et celle à l’abricot, il y a une infinie variété. Paradoxalement, cette pléthore de alternatives crée un vrai problème chez certains. Parce qu’ils ont peur de faire le mauvais choix, de se tromper, de prendre la mauvaise route. C’est aussi un mal nouveau qui pousse certains à ne plus vivre leur existence que de façon virtuelle.
Le personnage de Anne, noyé au milieu de ces 17 tentatives d’identité, introduit la question de la fragile limite entre fiction, réalité et virtualité.

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