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Artaud pièce courte

+ d'infos sur le texte de Diane Scott
mise en scène Diane Scott

: Entretien avec Diane Scott

par Clara Claitman, journaliste

Pourquoi avoir intitulé votre spectacle « Artaud, pièce courte » alors que vous ne parlez pas d'Antonin Artaud, qu'il n'y a pratiquement pas de texte de lui ou si peu, et que l'on ne voit guère le rapport avec lui, a priori, si vous me permettez ?


Je vous en prie. Je dirai deux choses. La première : je n'ai en effet composé ni un spectacle sur Artaud ni sur ses textes. En revanche j'ai travaillé dans la perspective d'Artaud, et la construction de cette »pièce courte » est concrètement un cheminement de textes et d'images qui nous conduisent à entendre un texte d'Artaud, à la fin du spectacle, extrait de Suppôts et Suppliciations, dernier recueil de textes composé peu avant sa mort en 1947. Ce texte est un morceau de minerai nucléaire, on ne peut cesser d'entendre quelque chose de lui, ça distille quelque chose tout le temps. C'est-à-dire que c'est de l'écriture pure, ça ne cesse pas de produire, des images, de la pensée, des connections. Et il me semble que la bonne demi-heure qui précède, de textes venus d'ailleurs, d'images d'archives, fait fonction de descente par paliers. Pourquoi ne pas considérer certains textes comme des profondeurs aquatiques auxquelles on n'accèderait que par paliers ? On ne peut pas être en contact permanent avec l'art, ou alors cela n'en est pas, en ce sens c'est le contraire d'une certaine conception de la culture, c'est l'antithèse des petits cartons merdiques de pseudo-poésie de la RATP dans les rames de métro. La poésie, il faut s'en remettre, on ne peut pas être avec elle tout le temps. C'était la première chose que je voulais dire, le caractère radioactif de l'art. Ca demande des conditions d'approche. On n'est pas en mesure d'écouter « du Artaud », comme on dit, comme ça, comme on bouffe des trucs toute la journée.
La seconde concerne, du coup, le titre. Et cette posture vaut aussi pour Nietzsche, la seconde partie du triptyque. Par rapport à un auteur, on a quatre possibilités. On peut faire un spectacle sur sa vie, c'est un spectacle biographique. Quelqu'un a fait récemment une chose parfaitement ringarde sur Friedrich Nietzsche par exemple. On peut monter certains textes, je dirais que ce sont a priori des spectacles d'ordre littéraire. Je pense à certains magnifiques passages du Zarathoustra du metteur en scène polonais Krystian Lupa. On peut aussi travailler des thématiques présentes chez certains auteurs, les transposer au plateau. Je cherche des exemples, je n'en ai pas pour l'instant. Mais il y a une quatrième possibilité, qui serait le créneau sur lequel je me situe en l'occurrence, où « Artaud » et « Nietzsche » sont entendus comme des nébuleuses, comme des réseaux de connotations, comme une flaque de mercure, plastique mais consistante. Dans cette perspective, ce mot que nous mettons au frontispice d'un spectacle n'est pas un titre, ce n'est pas le résumé de ce que développera ce qui suit (comme le titre d'une thèse, comme le mot « Phèdre » annonce que le spectacle qui suit traitera de cette malheureuse Phèdre, etc.). Ce mot est un monde en soi que nous mettons à côté d'un autre monde en soi qui est le spectacle, et je suis enthousiasmée par l'idée que le théâtre commence dans le rapport entre le symbolique de ce mot et le réel de ce qui va se développer au plateau. Entre le mot et la chose, il y a déjà des espaces actifs, cela ne va pas de soi, c'est déjà un acte de poser ce mot sur cette chose. Quand Joseph Beys intitule une de ses pièces faite d'un placard chargé d'objets « chasse au cerf », c'est un vrai acte de nomination qui a lieu, bien plus fort que s'il avait appelé ça « composition au placard » ou je ne sais quoi. Voilà la deuxième chose que je voulais dire, je suis très heureuse des réserves incroyables de sens que recèle le seul fait de nommer. On donne un nom à un spectacle, pas un titre. C'est comme pour un enfant, on ne l'appelle pas « brun aux yeux verts » ou « bec de lièvre », on l'appelle « Pierre ». J'ai appelé mes spectacles Artaud, et Nietzsche.


Bon, merci pour cette réponse fournie. Quel est cet auteur dont le spectacle n'arrête pas de citer les « carnets » et qui s'appelle Botzaris ? Internet m'indique qu'un certain révolutionnaire grec, mort en 1823, s'appelait ainsi, mais je me doute que ce n'est pas lui qui a lu et qui cite Pasolini et Robert Castel...


Bien vu ! Botzaris est une fiction. J'avais assemblé des bribes de texte, des phrases, dont la juxtaposition me semble produire des écarts intéressants, mais il fallait néanmoins un fil, une certaine unité, pour profiter précisément de ces écarts de faille. J'avais, indépendamment de cela, été touchée par l'usage de l'anaphore dans Sans Soleil de Chris Marker (« Il m'écrivait... ») et c'est pourquoi j'ai pensé à inventer « les cahiers de Botzaris », dont auraient été extraites ces notes, réunies intuitivement. Toutes les séquences de texte sont introduites par cette annonce, sauf le premier et le dernier. Vous voyez, cette composition est d'une forme extrêmement classique.


Précisément ! Il y a un acteur (ou une actrice) qui lit assis(e) derrière un pupitre, des images, silencieuses, qui passent, le tout avec une sorte de régularité de métronome. Ce principe d'écriture n'est guère dynamique, c'est en effet très au cordeau, votre affaire. C'est même un peu austère. Qu'avez-vous à dire pour la défense de ce mode d'écriture ?


Qu'il me semble qu'il se défend très bien, il a beaucoup de vertus à mes yeux. Je suis frappée par l'hégémonie d'un certain mode d'écriture, comme vous dites, fondé sur la superposition systématique d'image, de son et de texte. Soit on masque ainsi l'indigence des matériaux avec la sauce qui va avec, et chaque élément vaut pour le ketchup de l'autre ; soit on tue la force des éléments en les étouffants sous des couches de trucs. Je pense à cette phrase d'Heiner Müller au sujet de l'opéra : « Pour que le tout soit plus que les parties, il faut que chaque partie soit déjà un tout. » Le péché originel du théâtre est la peur du vide, ou de ses différentes formes, espace, silence, lenteur. Je n'ai jamais eu l'intention de gaver les spectateurs comme des oies, je n'ai absolument pas l'intention de les « détendre », de leur « faire oublier leur journée », de leur en donner pour leur argent, de leur faire oublier la crise ou je ne sais quoi. Je n'ai rien à faire de tout cela. Moi, j'essaye de faire du théâtre, je ne suis pas une pharmacie. Ni une agence de voyage, ni un canapé, ni un verre de vin, je ne fais rien de délassant, de pétillant, d'ébouriffant, j'essaye de faire du théâtre. Bref. En effet le rythme est très simple, l'enchaînement des séquences est sommaire, sans effets, on passe d'un truc à l'autre. Au contraire d'ailleurs, c'est l'abrupt de la juxtaposition qui est le plus à même de produire des effets de réel, des événements. C'est pourquoi je n'ai pas cherché à jouer sur le rythme, il y a presque ici un lyrisme du matériau brut : les morceaux de musique sont entiers, on traite les textes, les images comme des objets qui se poseraient les uns à côté des autres. On ne fait pas de fondu-enchaîné sur une table avec une bouilloire et un sac de riz, de même ici avec nos extraits de texte et de films. Ce sont des dominos. La conséquence est simple, le matériau s'entend mieux en soi, il n'y a pas d'effet de surprise, on n'a affaire qu'à la voix de X qui parle ou qu'à cette image de femme masquée, etc. Moins il y a d'effet, plus il me semblait pouvoir offrir aux spectateurs un objet qui permettait d'être plus pleinement en contact avec lui. Plus pleinement en contact, ça veut dire aussi et dans le même temps, le moins en contact, c'est-à-dire le plus à même de vivre quelque chose avec ça.



(Extrait d'un entretien de janvier 2009)

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