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: Note d’intention de mise en scène

« J’assiste au drame, scène après scène, effacée, comme une ombre.
Je suis la seule lucide, la seule dangereuse et personne autour de moi ne le soupçonne. La vieille fille !
… J’ai trente neuf ans et je suis encore vierge
… Depuis son mariage avec ma sœur Félicia, personne n’existe au monde à part Jean Luze. Le beau Jean Luze ! L’intelligent Jean Luze ! Jean Luze l’étranger auréolé de mystère, d’exotisme.
… Mais Jean Luze ne désire plus Félicia, c’est à Annette qu’il pense, mon autre sœur,
… Annette a de l’or sous la peau.
La couleur de la peau exceptée, c’est une copie de moi d’il y a seize ans, retouchée.
Car ces deux mulâtresses - blanches sont mes sœurs. Je suis la surprise que le sang mêlé a réservée à nos parents.
C’est moi le metteur en scène du drame, je les pousse sur la scène, adroitement, sans avoir l’air d’intervenir et cependant, je les manœuvre.
Ma chambre est fermée à double tour … j’ai caché, sous mon lit, les romans d’amour que je dévore et les cartes postales pornographiques…
La pureté n’existe pas et les besoins de la chair sont normaux.
… Je me tords sur mon lit, en proie à des désirs que rien n’arrive à assouvir.
… Je suis nue devant le miroir, encore belle.
… Je hais Félicia d’avoir introduit cet homme dans la maison. Ma tentation.
Ma terrible et délicieuse tentation ! »


En quelques phrases « repiquées » au cœur du roman de Marie Vieux-Chauvet, outre ce style élégant, sulfureux et terriblement moderne ; il me semble que le décor est planté, le personnage dessiné dans une évidence fulgurante. Image imposante d’une femme terriblement belle, que le manque d’amour a flétri avant l’âge. Une ordonnatrice qui fomente l’histoire familiale au gré de ses désirs sur le fil « pervers » de ses fantasmes. Qui sera-t-elle au moment précis du début de la pièce ? Une femme vieillissant, enlisée, empêtrée dans ses draps souillés, emmêlés au milieu de ses pulsions avortées… Reine noire, au cœur de sa chambre, véritable empire des ténèbres « château de cartes » vacillant à l’image de cette société aristocratique haïtienne se consumant dans le reste de ses fastes. Vie en vestiges voilée, cachant une nudité, un dénuement, une aridité… Brûlure à fleur de peau d’un amour qui ronge de l’intérieur à force de n’être pas dit, pas dévoilé. Château de cartes dont les cartes sont pornographiques, images d’indécence à l’intérieur secret, déguisé d’une parure de « sainteté ». La bienséance extérieure fait contraste, donne le change. Chambre envoûtée d’une présence - absence celle de l’homme chéri, vénéré ; l’homme à la peau blanche, au sexe convoité mais interdit, destiné à une autre irrémédiablement ! Femme de peau noire, l’accident, ses rêves sont hantés par la blancheur de cette peau mâle, laiteuse… corps évanescent, obsédant, danseur qui s’ébroue, s’incarne et s’apaise au son des concertos de Beethoven. Une solitude à deux, dont le deuxième n’est qu’ « esprit et chair », rêve éveillé poétique, romantique et terriblement trivial et sexuel. Il s’agit bien d’imaginer un univers fantasmagorique chimérique et contrasté : la noire et le blanc, comme les touches d’un piano égrenant les mélodies d’un passé révolu. Un univers pulsionnel, érotique où rien n’est consommé jamais, la suggestion même des désirs interdits réveillant la moiteur et l’étouffement des passions inassouvies.

Vincent Goethals

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