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Amerika, suite

mise en scène Christian Benedetti

: Quelques notes

L'Amérique, suite n'est pas une pièce anti-américaine, mais énonce comment il est impossible de survivre et d'avoir une identité à l'intérieur d'un système, en dehors de l'espace d'un billet de banque devenu la référence mondiale, ayant la prédominance sur les autres, en l'occurrence : le dollar.


Il n'y a rien à échanger. L'important, c'est l'apparence, pas ce que l'on est.


Daniel veut paraître jeune, gai, heureux...
Il court après le temps, l'argent, les femmes...
Il consomme sans joie, mais avec frénésie, pour combler le vide.


Karl est conditionné par son apparence physique.
Il cache un corps médiocre sous des vêtements de luxe.
Il possède tous les objets signifiant de sa réussite sociale, ce qu'il faut avoir, même si l'on en retire aucun plaisir particulier. Son appartement est le territoire de sa réussite.


Le Clochard met en spectacle l'histoire des USA, il vend une guerre : la guerre du Golfe, le Viet-Nam, peut importe, il fait du commerce avec l'histoire de son pays dont il n'est plus lui-même qu'un bout oublié.


Irène n'a d'identité que celle qu'on lui colle dès qu'on la voit.
Une couverture de journal au mieux, un fantasme masculin inatteignable, image d'une réussite virile quand on la possède,...une pute au pire. Mais... elle a renonce a son identité pour en avoir une autre... et le prix est cher : elle doit renoncer à celle de son frère dont l'existence ni la mort ne seront validées.


Karl devient haineux lorsqu'il commence à perdre son identité et qu'il a l'impression que tout le monde lui en vole des morceaux.


Le portier et le serveur sont les deux représentants méditerranéens qui ont construit eux-aussi l'Amérique notamment à travers l'imagerie cinématographique et les faits divers.



Les personnages de L'Amérique, suite représentent à la fois des archétypes et des clichés.


La pièce joue sur les contraires. Par exemple, Irène et Mafi : Une (Mafi) à la poitrine proéminente, image primitive de la maternité...rassurante pour l'enfant...Une (Irène) image primitive du fantasme et du désir masculin inatteignable et glacé, la réussite virile, et androgyne.
La serveuse dont on a oublié le visage car elle n'est personne, à peine une fonction qui est de servir des clients absents et qui se gratte sans cesse ce visage oublié, comme pour en découvrir un autre sous celui qui la fait souffrir et qu'elle détruit


C'est au comportement de ces personnages que l'on s'intéresse pas à leur humanité.


Il y a aussi des voix sans visages (Suzy, la mère).


Biljana Srbljanovic reprend une série de thèmes du roman de Kafka, dont le titre original est Le Disparu ou L'Oublié.


Le livre de Kafka n'est pas un roman sur l'Amérique, mais sur la disparition et l'oubli (comment peut-on disparaître et être oublié ?).
La fin du roman de Kafka a lieu dans un théâtre, le surnom de Karl est "négro" (dans la pièce, Karl dialogue avec un enfant noir qu'il est le seul à voir).


Il y a de nombreuses allusions au roman.


K pour Karl Roosman
K pour l'Est
K pour Kippour



Un personnage qui se retrouve face à d'autres lui faisant subir une série de vexations dont on ne connaît pas la cause, cette idée de la faute dont on ne connaît pas l'origine (le Karl de la pièce sait eut-être quelle faute il a commise, le spectateur ne le saura jamais).
Le Karl du roman lui, a mis enceinte la bonne... voilà la faute.


Karl n'est pas malade : il se retrouve confronté à un complot qui existe effectivement (les nuisances qu'il subit de la part du portier et du serveur sont bien réelles).


Il est, dans cette situation, comme un rat d'expérience.


Karl est européen : il porte avec lui la culture, la tradition et la mémoire de l'ailleurs. Les autres ne l'ont plus : ils ont perdus leur identité.
Karl, lui, se bat pour conserver son identité et sa mémoire.
Son appartement contient des traces, la mémoire de son prédécesseur.


Contrairement à l'Europe, qui s'est construite sur et par l'Histoire, ici, c'est comme si avant n'existait pas. On court vers l'oubli.


Dans toutes ses autres pièces, Biljana Srbljanovic parle de l'Amérique, de l'extérieur.
Ici, elle en parle, et s'attaque au mythe, de l'intérieur.
Pour détruire ce mythe, elle utilise les clichés.


Au pays de l'opulence la majorité de la population subit à la fois un appauvrissement matériel (pauvreté de plus en plus importante) et un appauvrissement des origines (à l'instar du personnage central de Supermarché, Léonid Crnojevic, qui souhaite changer son nom pour aller au USA et devenir ainsi Léo Black).


L'Amérique accueille ceux qui arrivent non tels qu'ils sont mais tels qu'ils doivent être à ses yeux. Léo Cnrojevic dans Supermarché : Il est devenu Léo Schwartz en Autriche.
Et lorsqu'il dit qu'il aurait dû partir en Amérique... pour être comme tous les autres, avant de brûler son journal, il crie son nouveau nom : Léo Black. Ensuite voulant se suicider en se pendant au radiateur, le tuyau cède laissant jaillir l'eau comme celle des remorqueurs qui accompagnent les paquebots d'immigrés arrivant dans le port de New-York avant de passer par le rite purificateur du changement de nom sur long Island. Il crie ensuite AMERIQUE...


La scénographie fait intrinsèquement partie de la dramaturgie. Il y a des constantes, notamment la transparence, la superposition, l'interpénétration entre le dedans et le dehors.


New York est une ville que tout le monde pense connaître, par la télévision, les photographies, les cartes postales.
Pourtant, personne ne la connaît.


L'appartement de Karl est aussi la ville (les building sont des éléments du décors et deviennent meubles, réfrigérateur,...).
Le mur est en verre, ce qui permet, depuis l'appartement, de regarder dehors, et, depuis le trottoir, de voir l'appartement et New York.
Dans un même temps, en fond de scène, seront projetées des images de New York que tout le monde connaît (séries américaines).
Chacun verra sa New York.


Dans les pièces de Biljana il y a toujours le sujet apparent et le sujet réel.
Le sujet apparent sert de trame et de facture à la construction de la pièce : ici la recherche de l'identité.
Le sujet réel est le sens profond : la violence infondée imposée ou subie...
Peut-on s'en défendre sans la combattre ?

Christian Benedetti

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