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Aglaé

mise en scène Jean-Michel Rabeux

: Entretien avec Jean-Michel Rabeux

Propos recueillis pas Pierre Notte

Vous avez rencontré la véritable Aglaé, et recueilli ses propos... C’était où ? Dans quel contexte ? Quel est son vrai nom, sa vraie vie ?


C’est par relation d’hôpital, où elle est devenue la copine d’une vieille dame que nous connaissons. Un coup de chance, un coup de hasard, à Marseille, où elle travaille toujours comme prostituée, malgré ses soixante-dix ans et fortune faite. On l’a d’ailleurs rencontrée dans son studio de travail. Au début, elle était plutôt méfiante, et puis, le rosé aidant, sa verve parigotte, elle est de Sarcelles, s’est aiguisée. Elle a commencé à s’amuser, parce qu’elle nous amusait. Aglaé n’est pas son vrai/faux nom de travail. Elle tenait absolument à ne pas être reconnaissable, à cause de la famille de son fils, qui ignore son activité. Elle a une relation difficile avec son fils, elle parle de lui tout le temps, elle le voit tout le temps, mais elle le tuerait volontiers.
Certainement lui aussi. (Rires)


Vous en avez fait un texte, mais ce sont ses mots, s’agit-il d’une pièce ? D’un portrait ? D’un témoignage ? D’une reconstitution ?


En fait, elle s’est mise à nous raconter sa vie. Peu à peu. Le mot témoignage me paraît le plus juste. On a enregistré. Ce sont ses mots, ou presque, les miens sont de liaison, insignifiants. J’ai déplacé des moments du récit, enlevé du « hard », elle est très crue, Aglaé, mais tout ce qui pèse, tout ce qui porte, c’est elle. Et l’esprit, évidemment c’est elle. « Ça ne s’invente pas » résumerait assez bien la multitude d’anecdotes et de réflexions qu’elle nous a livrées. J’ai enlevé beaucoup de choses. Des choses formidables, d’ailleurs. Elle a eu une riche vie, Aglaé.


Et qui est Claude Degliame ?


Une actrice formidable. Qui a eu une riche vie. Qui a travaillé avec les plus grands. Donc avec moi. Plus sérieusement, je ne conçois ce texte que dans sa bouche. Claude est très forte pour rendre leur évidence aux paroles les plus impies. Nous étions ensemble lors de la rencontre avec Aglaé, et sa présence a beaucoup contribué à la confiance mutuelle, évidemment. Moi je ne suis rien qu’un homme quand même, on ne peut pas me faire une réelle confiance. Le souci de Claude c’est de parvenir à un jeu qui rende justice à sa vivacité, sa drôlerie, son impitoyable sens du réel, sa différence, sa monstruosité rigolarde. Monstre, Claude, elle connaît.
Son but n’est pas de parler comme Aglaé, de l’imiter, elle s’efforce plutôt d’oublier ses façons, son but c’est qu’on l’entende, le plus humainement possible.


Comment imaginez-vous le plateau ? La mise en scène ? S’agit-il d’incarner Aglaé ?


Il n’y a pas de plateau. Il y a un « à-plat » qui mélange l’actrice et les spectateurs. Claude est au milieu des gens, elle se déplace debout au milieu d’eux assis. C’est la « langue parlée » qui nous a amenés à tenter cette extrême proximité. Qu’est-ce qu’on fait de la langue parlée au théâtre ? Si c’est pour parler soi-disant comme en vrai, comme à la télé, on s’en fout. Mais quel « chant » trouver ? Où est le faux qui dira le plus le vrai et qui restera planté dans les mémoires des spectateurs, qui ne sera pas immédiatement évacué ? Nous recherchons le contact physique le plus direct possible avec les spectateurs. Les rapports que les gens entretiennent avec la prostitution sont plutôt de l’ordre de l’ombre, pour ne pas dire des ténèbres, nous recherchons une mise à la lumière, délicate peut-être, mais aussi crue que peut l’être Aglaé.


Comment le spectacle intervient-il dans le débat sur la prostitution ?


Sur ce sujet, les intentions de tout le monde sont à peu près les mêmes : que les femmes fassent de leurs vies, et d’elles-mêmes, ce qu’elles veulent. Après, ça s’empoigne sur les sens du mot « vouloir ». Ça cache quoi, « vouloir » ? Ça dit quoi ? Aglaé a une position très précise sur le sens du mot « vouloir ». Elle donne son avis là-dessus, très vertement. « Je suis adulte et consentante, non ? Alors qu’on m’emmerde pas avec la loi ! » Mais ce n’est pas pour ça, ou en tout cas pas seulement pour ça, que nous avons eu envie de la faire entendre. Aglaé donne son avis là-dessus, mais pas nous. Nous ne sommes pas forcément d’accord avec tout ce qu’elle raconte.
C’est une tête de pioche, quand même. Mais c’est elle qui parle, pas nous.


À quoi sert ici l’espace théâtral ?


Au rite : le monstre est monstré. C’est une vieille affaire du théâtre, le monstre sacré, sacrifié. Qui dit des choses qu’on ne peut pas entendre, qui fait des choses qu’on ne peut pas voir. Mais ici, c’est une vieille copine, le monstre. Et elle n’est pas du tout monstrueuse. Seulement, elle n’est pas exactement pareille que tout le monde. Comme Phèdre ou Médée, ou Louis de Funès. Comme tous les monstres. Comme vous et nous. Ça aussi c’est politique, ça surtout. Et c’est pour ce politique-là que nous avons décidé de faire un spectacle avec les mots de sa vie. Une vie différente, une vie hors-les-lois, hors les normes, une vie qui affronte les consensus, et qu’elle assume tranquillement et en toute connaissance de cause.

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