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Actrice

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mise en scène Pascal Rambert

: Entretien avec Pascal Rambert (2/3)

Entretien réalisé par Hélène Thil

Vous parlez souvent de votre fascination pour les actrices. Ce spectacle est-il une façon de mettre des mots sur cette fascination ?


J’aime écrire pour les actrices. J’aime donner du travail aux actrices. C’est peut-être ça mon travail : donner du travail aux actrices. Leur donner de grands rôles. C’est comme si, au fond, je réparais une sorte d’injustice structurelle. Il y a toujours eu, structurellement, des auteurs dramatiques qui ont, de façon mécanique, plus écrit pour les hommes que pour les femmes. Je pense que, à partir de certains auteurs comme Bernard-Marie Koltès, ou Jean-Luc Lagarce par exemple, les choses changent. Et c’est bien. En tout cas, je fais ça très consciemment. J’essaie de proposer à des actrices des rôles où elles puissent vraiment y aller et ne pas simplement apparaître dans une scène. Et puis aussi, presque ontologiquement, un auteur c’est quelqu’un qui est capable de parler de ce qu’il connaît le mieux, à savoir sa propre part d’appartenance à l’espèce humaine, qu’il possède en lui.


Mais il y a aussi, au bout d’un moment, cette capacité à savoir très bien parler des autres, parce qu’on fait partie de cette communauté humaine. Moi je dois, en tant qu’écrivain, aller sur le territoire d’un enfant, aller sur le territoire d’une femme, aller sur le territoire d’une personne très âgée. Je dois être à l’écoute de ça. Aujourd’hui, j’ai élargi mon cercle à cela. Je l’ai élargi sur tous les âges de la vie et même au-delà puisque mon grand plaisir actuellement c’est de faire revenir les morts sur scène.


Une vie que j’écris pour les acteurs de la Comédie-Française et GHOSTs que j’écris pour les acteurs Taiwanais sont des pièces de fantômes, des pièces où les gens reviennent, un peu comme ce que j’avais fait avec Argument. Clôture de l’amour, c’était tautologique : un couple se sépare et parle du théâtre. Là, une femme meurt, et à la fin elle s’élève dans son lit.


Personne ne s’élève dans son lit comme ça, à part au théâtre. Chez moi, des femmes vivent, parlent et se redressent. Des femmes meurent, se redressent et parlent. Je ne crois pas à la mort, mais je crois à la puissance de la parole. Quand je relis Une Saison en enfer, je sais que les choses ne sont pas mortes. Rimbaud est toujours vivant.


Les êtres ne meurent pas. Ils sont là. Il suffit de dire leur prénom et ils apparaissent. La pièce que j’écris, GHOSTs, est imprégnée de cette idée. Cela fait des années que je veux faire une pièce asiatique. Je travaille au Japon depuis quinze ans donc c’est un monde que je connais très bien maintenant. Les morts et les esprits sont omniprésents : les esprits de l’eau, les esprits du théâtre, les esprits du vent. Ce sont des choses très importantes là-bas.


Vous parlez du théâtre nô dans la pièce. Quel est votre rapport à ce théâtre ?


Oui, j’ai une passion pour le nô. J’ai vu une cinquantaine de nô au Japon. Chaque fois que je vais à Tokyo ou à Kyoto, je vais voir du nô. Pour moi, le nô est à l’intérieur de la pièce une sorte de forme absolue de l’art du théâtre. Les acteurs de nô sont à l’exact opposé de ce que l’on fait ici en Occident. Il y a cette chose que j’adore qui est cette façon de disparaître à l’intérieur des personnages, de se dissoudre. Le théâtre nô, c’est absolument inouï. C’est une idée du temps, du déplacement, de l’émission de la parole.


Et surtout, c’est un théâtre qui a été inventé vers 1300 au Japon et celui qu’on voit aujourd’hui est à peu de choses près le même que celui qu’on voyait aux origines. C’est quelque chose qui est extrêmement impressionnant du point de vue de la pénétration d’un objet à travers le temps. C’est vraiment merveilleux.


On décèle dans Actrice un lien très fort avec La Mouette. Quelle importance la pièce de Tchekhov a-t-elle joué dans l’écriture d’Actrice ?


La Mouette, c’est la pièce absolue. C’est le point central. La première scène que j’ai travaillée en 1982 lorsque j’étais à Chaillot, élève d’Antoine Vitez, c’est une scène de La Mouette.
Je jouais Treplev. Aujourd’hui si je devais jouer La Mouette, je jouerais Trigorine. J’ai invité Arthur Nauzyciel avec sa mise en scène de La Mouette au Théâtre de Gennevilliers. L’année où j’étais à Moscou pour rencontrer les acteurs, j’ai vu quatre ou cinq Mouette. C’est une pièce extraordinaire.
Il y a cette scène merveilleuse dans La Mouette, le théâtre à l’intérieur du théâtre (qui est aussi la matrice d’Hamlet), avec cette chose très belle : «Les hommes, les lions, les aigles et les perdrix etc.» C’est un texte que j’adore. Quand j’étais à Moscou, je demandais à tous les acteurs :
comment tu l’interprètes ? Il y a eu cette chose merveilleuse : une actrice qui avait soixante-dix ans m’a dit qu’elle avait joué Nina cinquante ans auparavant. Je lui ai demandé si elle pourrait se lever et rejouer Nina. Cinquante ans plus tard, elle s’est levée et elle l’a fait. En plus, j’ai fait toutes les rencontres avec les acteurs dans la salle qu’on voit sur la photo avec Tchekhov lisant La Mouette entouré de ses acteurs. Nous avons fait les entretiens dans ce lieu au Théâtre d’Art et c’était très émouvant de voir cette actrice de soixante-dix ans rejouer Nina. On avait tous les larmes aux yeux de voir le temps qui avait passé dans son corps. Elle a fait exactement les mêmes mouvements que ceux qu’elle avait faits cinquante ans plus tôt. C’est merveilleux. Donc La Mouette est forcément présente. C’est une pièce où Tchekhov a su rassembler au creux de la main notre vie.


Finalement mes pièces tournent beaucoup autour de ce que je connais, à savoir l’art du théâtre et la vie : c’est le cas de Clôture de l’amour, Répétition, Actrice, L’art du théâtre. Cela pourrait être aussi bien la danse, les arts plastiques ou la peinture, qui est d’ailleurs le sujet de Une vie.


L’art croise tout : la beauté, le rapport politique au monde, le langage, la passion amoureuse.


C’est mon prisme. C’est par là que tout passe. C’est le filtre de la vie.



Entretien réalisé par Hélène Thil
Paris, novembre 2016

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