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Actrice

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mise en scène Pascal Rambert

: Entretien avec Pascal Rambert (1/3)

Entretien réalisé par Hélène Thil

Comment est née l’idée de ce projet ?


En 2012, j’ai monté Clôture de l’amour au Théâtre d’Art de Moscou. C’est d’ailleurs la première version étrangère que j’ai faite du spectacle, après la version française en 2011 au Festival d’Avignon. La version russe de Clôture de l’amour se joue toujours à Moscou actuellement depuis sa création en 2012. À la suite du succès de la pièce là-bas, on m’a demandé de réfléchir à un nouveau spectacle pour le Théâtre d’Art et j’ai donc, comme je le fais toujours, proposé d’écrire pour les acteurs. J’ai fait plusieurs séjours au Théâtre d’Art et je suis allé tous les soirs voir les pièces, rencontrer les acteurs, voir les mises en scène, voir l’état du théâtre russe. Je suis devenu très familier avec les acteurs sur le plan artistique. La chose qui m’a le plus marqué, c’est que, quand je rentrais le soir à mon hôtel après les répétitions, la seule chose qui était ouverte tard la nuit et qui brillait dans la neige, c’était les magasins de fleurs. Les magasins de fleurs sont ouverts toute la nuit à Moscou. Ce sont des kiosques remplis de fleurs, avec beaucoup de buée parce qu’à l’intérieur il fait chaud et que dehors il fait moins quinze. Il y a donc ces petites guérites souvent sous des éclairages de néon et c’est presque un monde de lumière : un Moscou tout blanc, des fleurs dans un cube de verre, du blanc, du néon. C’est vraiment un univers plastique qui m’a attrapé. Et qui est de surcroît le mien. Toutes mes pièces sont comme ça. Je suis allé à toutes les premières au Théâtre d’Art. Il y a, côté jardin, à l’extérieur de la scène, à côté de ce qu’on appelle la Garderoba où on enlève son manteau avant d’entrer dans la salle, un endroit où les gens viennent avec des bouquets de fleurs. Parce que les acteurs sont ce que l’on vient voir quand on va en théâtre en Russie. En premier lieu, on vient voir des acteurs jouer. Le metteur en scène est assez secondaire. Les gens viennent apporter des fleurs aux acteurs par l’allée centrale.


Ils vont, au moment des saluts, chercher les fleurs qu’ils ont achetées et les donnent aux acteurs pendant de longues minutes. J’ai trouvé cela merveilleux. Pour moi, ça fait partie de mon amour de l’art du théâtre. Ces fleurs, cet amour des acteurs se sont mélangés pour donner le point de départ du projet.


Il y a, en Russie, un culte des grands acteurs et des grandes actrices russes, ou des danseurs du Bolchoï, comme la grande Maïa Plissetskaïa. À l’époque, j’étais en train de travailler sur Argument, qui est né aussi de la lecture de La Dame aux camélias, et j’étais sur ces histoires de femmes qui meurent, sur ces fleurs. Souvent les pièces que j’écris sont mélangées les unes avec les autres : j’en écris une qui contient souvent la prochaine ou qui est une sorte de satellite autour d’une autre pièce. Donc j’étais dans ces histoires-là et je me suis dit que j’allais écrire l’histoire d’une très grande actrice russe qui disparaît en quelques semaines et à qui, un peu comme à la Comédie-Française ou dans les grandes compagnies comme le Théâtre d’Art de Moscou, ses collègues viennent rendre visite, sachant que c’est la fin. C’est né à la fois de cet univers et de choses très plastiques : la pièce part vraiment de cette vision dans la nuit, de ces magasins de fleurs, de ces fleurs qu’on achète pour les gens qu’on aime ou pour le théâtre.


Vous aviez travaillé avec Eugenia Dobrovolskaia pour la version russe de Clôture de l’amour. C’est l’envie de travailler à nouveau avec elle qui vous a poussé à écrire pour les acteurs du Théâtre d’Art de Moscou ?


Oui, j’ai pensé à elle pour écrire la pièce. J’ai fait plusieurs séjours à Moscou et j’ai rencontré soixante acteurs du Théâtre d’Art. On s’est rencontrés, on a parlé et là j’ai écrit pour eux. J’ai passé avec chacun d’entre eux plusieurs heures en les faisant parler sur l’art du théâtre, sur leur histoire, sur l’Histoire de leur pays.
Il y en a qui ont quatre-vingts ans et qui me racontaient qu’ils avaient joué devant Staline.
C’était très fort et cela a nourri toute la pièce. C’était aussi au moment très tendu entre la Russie et l’Ukraine sur la question de la Crimée. C’est toute cette vie là qui est à l’origine de l’écriture d’Actrice. La pièce a été traduite en russe pour le Théâtre d’Art de Moscou, et je travaille actuellement sur la version française.


Quelle sera la distribution de cette version française ?


Elle va se jouer aux Bouffes du Nord avec Marina Hands dans le premier rôle – celui de l’Actrice – et Audrey Bonnet dans le rôle de sa soeur. Je suis en train de compléter la distribution.
Je pense que cela va être une distribution «internationale» parce que je cherche à travailler avec des gens avec qui je travaille partout dans le monde : les acteurs italiens, espagnols, russes, chinois, japonais, etc. Les agendas des uns et des autres sont compliqués à bloquer pour cinq mois de travail en France, mais j’espère qu’on va y arriver. Cette pièce, on en parle aussi pour des versions italiennes ou des versions chinoises, après la version française. C’est une pièce «russe», on peut la qualifier ainsi, mais elle excède l’idée que c’est une pièce russe : on est en train de parler de la version chinoise à Pékin. Donc c’est plus large que ça. C’est avant tout, un peu comme Clôture de l’amour, une pièce sur l’amour du théâtre, sur le métier que nous faisons jour après jour. Je pense que les acteurs sont les gens les plus ancrés dans le réel, même s’ils ont cette image un peu étrange. Ceux dont on pense qu’ils sont les plus «dans la lune», sont ceux qui sont le plus dans le réel. Un acteur, c’est quelqu’un qui est dans l’absolu réel.


Entretien réalisé par Hélène Thil
Paris, novembre 2016

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