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Variations Antigone

Comme enfant on joue à mourir

de Eugène Durif


C'est un jour de soleil éclatant,
c'est jour de victoire
et toute la ville est en joie
de la défaite annoncée et repoussée.


Et moi Antigone, seule
je marche sur un chemin de mort,
Antigone sur un chemin de mort
moi, Antigone,


elle, Antigone qui parle
et nous tous là présents
dans la lumière du théâtre,
portant un instant sa parole
devenant un instant qui elle est,
celle qui marche en pleine lumière,
condamnée à s'enterrer vive,
à mourir doucement dans le noir,
à guetter la vie qui s'en va insensiblement
quitte son corps et le souffle qui s'éteint.
Sur le chemin de sa mort,
et avec elle, dans sa voix,


moi Antigone,


elle Antigone
nous, parlant par sa bouche,
tous les personnages de cette histoire,
tous les protagonistes condamnés
à revivre dans le moment du théâtre
cette histoire, encore une fois.


Là, Créon, Vieux roi charogne
qui l'envoie vive au tombeau,
et sa soeur Ismène
et tous les autres, morts entre les morts
ou cadavres à l'abandon.
fantôme d'oedipe tatônnant dans l'obscur,


Père, je marche encore à ton côté
Prends ma main, ô Père,
Je ferme les yeux,
Je suis tes yeux
Prends ma main, ô Père,
Tes yeux fermés
Je les ouvre
Je vois le grand jour
Où il faut que tu marches avec moi
Tenant dans ta main la mienne
Et nous sommes deux, titubant
Plus ou moins
Sur ce semblant de chemin
Non, assurés
Seulement de ce qui est sous nos pieds
Et ne se dérobe au moment
Où nous posons le pied sur le sol.
Je ferme les yeux,
Je les ouvre,
Le jour m’aveugle quand je pense qu’il ne sera jamais plus le tien.


(…)


Ismène, mon sang, ma soeur,
ma soeur
as-tu entendu
l'arrêt prononcé par cet homme
notre oncle?
Ismène, ma soeur, mon sang où es-tu à présent?
Déjà si loin. J'ai rêvé de toi,
j'ai rêvé de nous,
corps couvert de sable
les liens des mains
nous pleurions agenouillés, suspendus dans les airs,
comme des oiseaux pitoyables
suspendus à l'envol
crucifiés dans l'envol,
bras, jambes battant à vide
dans l'air.


Ismène, mon sang, ma soeur,
est-ce que tu m'entends,
je marche seule sur un chemin de mort,
Antigone sur un chemin de mort
Il n'est plus de place pour moi
chez les vivants ni chez les morts.
Comme enfant, on joue à mourir
à guetter le souffle qui s'en va
comme enfant, on joue à mourir,
tu dors? Non, je ne dors pas!
et toi tu dors? Non, juste les yeux fermés,
derrière les yeux qu'est-ce qu'il y a
le noir que l'on touche du bout des doigts
ou ma main qui passe sur ton visage
quand tu fermes les yeux
et sur ta peau qui frissonne,
comme enfant, on joue à mourir,
ce n'est pas du jeu, cette fois,
pas du jeu, avec la main
qui cherche tout autour dans le noir,
se rassure d'un espace autour de soi,
tâtonne, tâtonne tout autour,
tu n'as que tes mains pour délimiter
ce qui t'es tout proche
dans le silence de ton souffle
de ton coeur qui tape à la tête,
ahan du souffle encore un peu,
le corps qui se fait immobile,
voudrait que cela vienne maintenant,
plus rien que le noir,
se confond avec la nuit du tombeau,
ô mes frères, je m'endors avec vous,
allons-nous quelque part
hors de notre corps après?
ou bien à la cendre et au néant
des pelletées de terre
sur un cercueil recouvert de fragiles
branches d'olivier?
je suis celle qui marche à la mort
dans un grand sursaut de la lumière,
avec la peur au ventre qu'elle ne veut
pas montrer, folle, dis-tu, oui, folle,
ma soeur je suis folle,
et j'ai peur maintenant
maintenant que ce n'est plus du jeu,
et le noir entre dans moi
comme dans une grande maison vide,
et je voudrais que la mort m'emporte
sans que je la vois venir en face,
sans que mes mains s'enfoncent dans la terre
ou s'accrochent désespérement, s'écorchent
à ce qui est tout autour, quand le dernier
souffle nous vient à la bouche.
Comme enfant on joue à mourir
enterrée vive dans la nuit du tombeau,
vous êtes là, mes frères?
tu dors? Et toi, tu dors?
blotissons-nous dans le profond de la terre,
à guetter le souffle qui s'en va
de l'un, de l'autre, ô frère, ô mes frères
dormez-vous? vos corps à bercer,
le souffle qui s'en va, de l'un, de l'autre,
à guetter, ô frère, ô mes frères,
de quel sommeil dormez-vous?
et toi, tu dors? plus rien que ce noir
qui peu à peu me recouvre. j'entends
vos voix, j'entends les cris de vos disputes
enfantines, la main qui passe sur mon visage
c'est la tienne, c'est la mienne, je ne sais plus,


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