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Couverture de Stabat Mater Furiosa

Stabat Mater Furiosa

de Jean-Pierre Siméon


Je suis celle qui refuse de comprendre
je suis celle qui ne veut pas comprendre et
qui implore
et si j'implore ne riez pas
pas de haussements d'épaule pas
de murmures
et pas de prétextes les yeux baissés
pour éviter ma voix
mon émotion n'est pas un chien que je promène
un petit chien-chien que je cajole et promène
mon émotion est noire et lourde
elle a le poids de la hache et
le tranchant du silex
et si je prie c'est sans dieux
si je prie c'est comme quand on dit : je vous en prie
c'est la vie que je prie
je vous en prie la vie et
je ne sais pas de quoi je la prie mais
je sais que la prière est lourde et noire
qu'elle n'appelle pas ne commente pas n'apure pas les comptes
elle viendra
ma prière un moment seulement s'il vous plaît
toi mon garçon écoute laisse laisse
jeux leçons et chansons
si tu en as le privilège
écoute reste ici debout
dans le pré carré d'ombre et de silence qui peut nous tenir lieu de parloir
tant pis pour toi tu es né tu es de ce monde
tu sauras
tu ne peux échapper à ma prière noire
toi mon père approche
regarde-moi ose me regarder en face
je suis celle qui essaie de ne pas comprendre
de ne pas te comprendre de ne pas entendre tes raisons
je hais tes raisons je fais silence sur tes raisons
ah oui nous avons marché dans la brume des champs dans l'aurore chahutée des villes
ma main dans ta grande main qui me voulait tienne et douce et hardie et
neuve et affamée et convaincue de ton désir d'être mon père
soit ! mais cela ne compte pas ne pèse plus
écoute et ose regarder mes yeux
toi mon frère
est-il possible que tu me ressembles
est-il possible croyable admissible
que tu portes un peu de mon geste dans tes mains quand tu égorges
et que mon visage dans ton visage se penche
sur la boue écarlate et le cadavre démembré
à travers toi je serais donc sœur de la chiennerie
guerriers tueurs éventreurs tortionnaires mercenaires soudards miliciens égorgeurs reîtres combattants assassins troupiers bourreaux soldats violeurs massacreurs chiennerie en tout genre veulerie
je n'en finirais pas d'énoncer
les galops du cheval sur la poitrine de la terre
je suis sœur à travers toi des chiens qui forniquent
sur le ventre blanc des amoureuses filles aux hanches neuves et femmes vieilles du dernier soir ici mon frère que tu entendes !
(...)


(...)
mais quand la foule des guerriers se met en chemin
c'est son pas d'abord qu'on entend
son pas qui martèle
oui les coups du marteau sur la terre
le pas qui frappe et qui dit je suis là je suis partout
et comme les bêtes qui sentent de très loin venir l'incendie
chacun sent monter en lui l'écho sourd de ce pas
pas d'histoires tout le monde sait cela
tout le monde
même l'enfant nouveau né en a la mémoire
le bruit du pas des hommes en guerre
on sait cela en naissant comme
on sait la voix de sa mère et
le bruissement des arbres et des astres
ah le petit tam-tam mou qu'elle fait la mort qui se prépare
dans le silence de vivre
j'étais femme jeune
et accordée heureuse à la nécessité simple de vivre
comme l'outre qui portait tous les vents d'Eole
et qui s'ouvrit sur le déchaînement des tempêtes
on a ouvert le sac de la guerre
et tous les bruits se sont rués sur nous
la toux rageuse des armes
les grondements claquements hurlements métalliques
grondements grincements rugissements claquements craquements
crissements
cris et plaintes hurlements et plaintes
pleurs et gémissements
souffles chuintements et sifflements
il me reste la voix
contre ce tumulte obscène
ma voix seule pour que tu l'entendes
toi qui fais les tumultes
ma voix qui te récuse et qui implore
je dirai tout pas de trêve
pour que ma voix porte aussi haut que ton tumulte
je dirai jusqu'au grincement des os
de la femme qu'on écarte pour le viol
et que ce bruit te serre les tempes
comme un remords inconciliable
(...)


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