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Couverture de Münchhausen ?

Münchhausen ?

de Fabrice Melquiot


Münchhausen ? : Note d'intention

par Fabrice Melquiot

Extrait du dossier pédagogique proposera le Théâtre Am Stram Gram à l'occasion de la mise en scène de Joan Mompart

Après Frankenstein et Moby Dick, je travaille à l’écriture d’une pièce inspirée des Aventures du baron de Münchhausen. Cette fois encore, je revendique tout autant la fidélité à l’œuvre originelle que la possibilité de m’en éloigner ; je crois que la distance, la digression, l’invention, nourrissent encore l’attachement qu’on porte à une œuvre. A chaque fois que je m’attelle à l’adaptation d’un classique, j’aime en saisir le patron, en redessiner la trame avec des outils dramatiques et tirer aussi des fils invisibles à l’œil nu, fils qui cherchent un en-deçà de l’intrigue, des personnages et des situations ; peut-être une façon de remonter à la source, la source de l’œuvre, la source de soi et la source de ce qui nous lie à l’œuvre.


J’aimerais poursuivre, à travers une lecture nouvelle des récits fantastiques de Münchhausen, des obsessions qui me sont propres, des questions que je pose de texte en texte, variant leur formulation pour mieux en cerner la portée. De quelle nature est le dialogue entre la création et l’enfance, entre l’enfance et la mort ? Qu’est-ce qu’une société assujettie au réel, à la logique et à la raison ? En quoi l’imagination, le fantasme, le mensonge (peut-être) sont-ils les premiers outils de vérités à venir ? Et si ce qui est imaginé aujourd’hui est prouvé demain, comment transmettre aux enfants, à la jeunesse, le goût de l’invention, cette faculté d’agir au-delà de lois préétablies, de protocoles identifiés, de cadres étouffants ?


Certes, Le Baron de Münchhausen nous parle de la fantaisie qui manque, la folie épique qui fait défaut, il offre à nos rêves une amplitude inouïe qui nous renvoie dans les cordes de nos propres aspirations. Je suis sensible à des écrivains comme Borges, qui clamait son goût de l’épopée, sa résistance au tragique, à l’angoisse. Ce qui ne l’empêchait pas d’entretenir avec la solitude et la mort un dialogue vivifiant, dans un paysage de miroirs, de tigres et de labyrinthes. Contre un réel mortifère, Münchhausen brandit ses armes fictives et fictionnelles ; pour reprendre un vers de Borges : parce que s’impose à lui cette « aventure infinie, insensée, ancienne ». Produire de la fiction, rêver le réel pour ne pas le subir, c’est apprendre à vivre pour soi, vivre avec les autres, grandir en soi et au contact des autres, c’est aussi apprendre à mourir, peut-être mieux tolérer l’idée de disparaître. En attendant, il faut faire. Et la poésie - son étymologie nous le rappelle - c’est faire. Chemin salutaire pour les enfants comme pour les adultes ! Münchhausen ne ment donc pas (seulement) par plaisir. Il ment par nécessité, par goût du vivant, du plus-que-vivant, par envie de mettre en doute la réalité, pour signifier qu’on ne doit jamais l’accepter sans l’interroger, sans la réinventer.


J’ai imaginé comme paysage-matrice à mon adaptation de Münchhausen une chambre d’hôpital ; j’ai sans doute été mené là par le syndrome portant le nom du personnage : cette pathologie caractérisée par le besoin de simuler une maladie ou un traumatisme dans le but d’attirer l’attention ou la compassion. Syndrome de Münchhausen. Le Baron est vieux, il serait malade dit-on. Il faudrait le border, le soigner, l’empêcher. Pourtant, il y aura des cyclopes et des Russes, des lions et des crocodiles, une échappée sur la lune, un boulet de canon qu’on enfourche comme Bucéphale, un voyage au centre de la terre, un autre dans les profondeurs de la mer, il y aura Vénus et Vulcain, une baleine gigantesque, des apparitions fabuleuses et des disparitions magiques.


J’ai donné à Münchhausen un fils, inexistant chez Raspe, qui pourrait revêtir, dans les délires de Münchhausen, les identités plurielles de ses compagnons Cavallo, Ouragane, Hercule ou Jécoute. Un adjudant et un adjuvant. J’aimerais évoquer à travers ce couple père-fils, un autre couple célèbre : Quichotte et Sancho. Pour deux raisons principales. La première, évidente, c’est que Quichotte est l’aïeul de Münchhausen, ils sont de la même famille visionnaire et naïve. La seconde, plus personnelle, c’est que j’ai découvert Joan Mompart dans le Ay Quixote mis en scène par Omar Porras, en 2002, au Théâtre de la Ville, à Paris. Il y jouait Quichotte et je ne l’ai pas oublié. Le retrouver aujourd’hui autour de Münchhausen, dans une relation d’auteur à metteur en scène, m’autorise à penser que des moulins amicaux tournent autour de nous, dont les ailes nous indiquent la direction des fous, des rêveurs, des bons menteurs qui disent mieux la vérité que ceux qui prétendent la détenir, et surtout la direction de l’enfance, qui nous est chère à tous deux.


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