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Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres dʼêtre à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public

de Jonathan Swift

Texte original : A Modest Proposal: For Preventing the Children of Poor People in Ireland from Being a Burden to Their Parents or Country, and for Making Them Beneficial to the Public traduit par Léon De Wailly


Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres dʼêtre à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public : Jonathan SWIFT : Modest Proposal for Preventing the Children of Poor People in Ireland from Being a Burden to Their Parents or Country, and for Making Them Beneficial to the Public, 1729, traduction Léon De Wailly, 1759

Swift, écrivain irlandais, plaide pour ses compatriotes catholiques, opprimés par les colonisateurs anglais et protestants.

J’ai connu à Londres un Américain fort compétent, lequel m’a révélé que le bébé sain et bien nourri constitue à l’âge d’un an un plat délicieux, riche en calorie et hygiénique, qu’il soit préparé à l’étouffée, à la broche, au four ou en pot-au-feu, j’ai tout lieu de croire qu’il fournit de même d’excellents fricassées et ragoûts.


L'humble plan que je propose au public est donc le suivant : sur ce chiffre de cent vingt mille enfants que j'ai avancé, on en réserverait vingt mille pour la reproduction, dont le quart seulement de mâles (proportion supérieure à celle de nos troupeaux d'ovins, de bovins ou de porcs, et justifiée par les très nombreuses naissances hors mariage des enfants en question : nos sauvages n'attachant que peu d'importance au fait d'être marié ou non, rien ne s'oppose à ce qu'un seul mâle serve quatre femelles). On vendrait les cent mille autres à l'âge de un an. On les proposerait à la clientèle la plus riche et distinguée du Royaume, non sans prévenir les mères de leur donner le sein à satiété pendant le dernier mois, de manière à les rendre gras à souhait pour une bonne table. Si l'on reçoit, on pourra faire deux plats d'un enfant. Si l'on dîne en famille, on pourra se contenter d'un quartier (avant ou arrière), lequel, légèrement salé et poivré, fournira un excellent pot-au-feu, le quatrième jour, spécialement en hiver.

Selon mes calculs, le poids moyen d’un nouveau-né est de douze livres. Avec une bonne nourrice, il peut atteindre vingt-huit livres en une année solaire.
J’admets qu’il s’agit d’un comestible cher, et c’est pourquoi je le destine aux propriétaires terriens : ayant sucé la moelle des pères, ils semblent les plus qualifiés pour manger la chair des fils.
Les arrivages de viande de nourrissons doivent être abondants toute l’année mais avec une pointe de fin février à début avril ; car un auteur sérieux (un éminent médecin français) nous assure que, grâce aux heureux effets du poisson sur le pouvoir génésique, les pays catholiques romains connaissent, neuf mois environ après Carême, une forte augmentation de leur natalité. C’est donc avec un décalage d’un an par rapport au Carême que les marchés seront le mieux fournis, vu le grand nombre des nourrissons papistes (soixante-quinze pour cent du total en Irlande).
Signalons au passage cet autre avantage de mon plan : réduire chez nous le nombre des papistes.
Comme je l’ai noté plus haut, il doit en coûter à une mendiante environ deux shillings (haillons compris) pour faire vivre un enfant pendant une année (on peut assimiler à des mendiants tous les métayers et domestiques agricoles, ainsi que trois quarts des fermiers) – et je crois d’autre part tout gentilhomme prêt à débourser dix bons shillings pour un nourrisson de boucherie engraissé à point. Je répète qu’il s’agit d’une viande excellente et nutritive, dont chaque pièce fournit quatre plats (que l’on reçoive ou que l’on dîne seul). Ainsi, les hobereaux sauront se montrer bons propriétaires et verront leur popularité croître parmi leurs métayers. Les mères de leur côté, feront un gain net de huit shillings et seront disponibles pour le travail jusqu’à produire un autre enfant.
Pour ne rien laisser perdre (et j’avoue que la dureté des temps pousse à l’économie) on pourra écorcher la pièce avant le dépeçage. La peau, traitée selon les règles, fournit d’admirables gants de dames et des chaussures d’été très habillés pour Messieurs.


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