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Même pas mort

de Eugène Durif


OU EST L'AUTEUR ?


LA FEMME (Elle rentre, l'air égaré, elle porte un gros sac dont s'échappent des feuilles, des cahiers, répertoires. De temps en temps, fébrilement, elle pose son sac et en extrait une feuille, la cherche longuement, vidant tout le contenu du sac.)


Où est le texte, où est l'auteur, où est-il donc ? Où est le théâtre bien ficelé, avec une intrigue bien construite, du sens, et que l'on sache à coup sûr où l'on en est et où tout cela nous conduit. Nous ne demandons pas la lune, nous ne demandons pas le bout du monde : un fil, le fil blanc dont on coud une fiction qui se tienne. Pas cette misérable enfilade de fragments déjetés, dépareillés, et entre des vides, des trous. Un revolver sur la tempe, qu'on lui mette un revolver sur la tempe et qu'il s'exécute là devant nous.


Ah le mâche-laurier sans scrupule, le retors monodique, l'écorcheur dissyllabique, le babilleur dyslexique, la limande faux-fuyante, le glossolaleur éructant, le raté radotant, le pleurnicheur crocodilesque, l'idiot-céphale appliqué, l'étourneau décérébré, le solennel roublard, le radotant scribouillard, l'invectiveur sans voix, l'éclabousseur de quinquet, le rapetasseur de rogatons, le paranoïaque atonal, l'ondiniste mal lavé, l'écumeur de mots sans suite, l'exsangue du verbe, le lutineur de contre-ut, l'épouvantail gesticuleur et sans tête, le gagne-petit asyntaxique, le ludion sans joie, le ripailleur de rêves à blanc, la chattemite mythomane, le graphomane monomaniaque, l'invocateur sournois, le versifieur mirlitonnant, le farfadet peine à sortir de l'épique, le glossateur gémissant et asthmatique, le procrastineur crachotant, le chafouin écritritureur sans grâce à la décoction d'encre pâlie, l'agélaste renfrogné, l'intermittent du poème, le veau de résidence, le virtuel de l'étreinte, l'hululeur de comptines bancales, le sautilleur aux petits pieds, le chansonneur approximatif d'airs mécaniques et détimbrés, le plumitif grimaçant et roulant des yeux, l'oiseleur à la plume dépareillée, le déguenilleux de néant, qu'il coure à tous les diables, que sa tête éclate, qu'on le saigne à Créteil, qu'on l'étrangle à Suresnes, qu'on l'étouffe en loucedé, qu'on lui brise les mots en gueule, qu'on lui fasse pisser le vinaigre par les trous de nez et l'eau par les yeux, qu'on fasse tinter à ses oreilles les écuelles tragiques, qu'on le blesse du bât et lui fasse sonner matines d'orages de machines d'arrière-scènes, qu'on le désarticule en tous sens et mille morceaux, qu'on l'estropie en simulacre, qu'on le démantibule à grands renforts de culbutes et brise-balles, qu'on lui fasse danser gigue, rigodon et branle sur un seul pied, les yeux fermés, qu'on le gave de ses ritournelles imbéciles, qu'on lui arrache la peau du visage et celle du ventre à grande lumière, qu'on aille le chercher au fin fond des enfers pour lui faire rendre l'âme et cracher ses dents, qu'il avale son âme et s'étouffe, qu'il dégage l'enténébré, des larmes postiches collées sous les yeux. Ah, ça, mais !


(Sur le point de disparaître)


Une histoire, une vraie, il nous faut, et le théâtre avec, et les personnages...


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