theatre-contemporain.net artcena.fr

Couverture de Marguerite, reine des prés

Marguerite, reine des prés

de Karin Serres


SCENE 5
Greta, Muguette puis Gilbert et Ludovic



Entrée de Muguette avec le jour comme la veille, qui prépare le petit déjeuner. Ludovic bat en retraite. Du dehors arrive Greta.



GRETA. — Bonjour bonjour !


Elles s’embrassent quatre fois.


MUGUETTE. — Tenez Greta servez-nous, j’ai les mains prises.
GRETA. — Qu’est-ce que c’est ? Vous partez en pique-nique ?
MUGUETTE. — Son petit-déjeuner.
GRETA. — Pardon ? Combien il y en a-t-il non attendez, une vingtaine au moins, vingt, non, vingt oeufs c’est ça ? Vous voulez la faire exploser ?
MUGUETTE. — Elle adore les oeufs, vous inquiétez pas.
GRETA. — Non mais… tous durs ?
MUGUETTE. — Que sept. Après, c’est vraiment trop sec, ça passe plus. Le restant, elle les gobe crus.
GRETA. — Erk !
MUGUETTE. — Vous m’aidez ?
GRETA. — Et ça, qu’est-ce que… ?
MUGUETTE. — Céréales mixées avec du miel et du lait concentré. Goûtez, goûtez allez-y, ça se mange, vous savez.
GRETA. — Je m’en doute mais… ce n’est pas un peu…?
MUGUETTE. — Trop raffiné ? Dans la vie, moi je dis, faut savoir ce qu’on veut, pas vrai ? Et nous, ce qu’on veut, c’est qu’elle gagne, notre Marguerite ! Qu’elle remporte le trophée. Grâce à vous, Greta.
GRETA. — Mais non.
MUGUETTE. — Si si, c’est un peu vous qui nous avez donné l’idée quand même, faites pas la modeste. Alors maintenant jusqu’au grand jour : pas de quartier !
GRETA. — Pas de quartier !
MUGUETTE. — Tout pour elle ! La victoire, faut la mériter ! Faut la vouloir ! Faut…
Passe Gilbert qui essaie de sortir discrètement.
MUGUETTE. — Où tu vas toi ?
GILBERT. — Dehors. Bonjour Greta.
GRETA. — Oh bonjour Gilbert. Comment allez-vous ce matin ?
MUGUETTE. — Et qu’est-ce que t’as dans les mains ?
GILBERT. — Moi ? Rien.
MUGUETTE. — Montre-moi, dis-donc oh, tu me prends pour un aveugle ou quoi ? Tu crois que je te vois pas te défiler avec ton petit air sournois ? Hein, Greta, qu’il a l’air sournois ? (à Gilbert) Montre !
GILBERT. — Là. T’es contente ?
MUGUETTE. — C’est quoi ?
GILBERT. — Tu sais pas lire peut-être ?
MUGUETTE. — C’est pour quoi faire ?
GILBERT. — Ça te regarde pas.
MUGUETTE. — Quoi ? Quoi ? Ça me regarde pas à moi ? Non mais vous entendez ça, Greta ? Et d’où c’est que tu le sors, l’argent pour l’acheter, ta peinture à la noix, pauvre traîne-savates ? Gagne-rien ! Crache misère !
GILBERT. — Oh, ça va…
MUGUETTE. — De vider le porte-monnaie commun, ça te fait rien ? De priver tes propres enfants de nourriture ? De jeter toute ta famille sur la paille pour…
GILBERT. — Pro-mo, tu sais vraiment pas lire ?
MUGUETTE. — Les asperges aussi elles sont en promo ce mois-ci à l’Unico…
GRETA. — Non ?
MUGUETTE. — … seulement moi tu vois, j’en ai pas pris, parce que moi je ne pense pas qu’à moi, et j’ai l’impression que malheureusement, dans cette maison, y a que moi dans ce cas-là, j’ai pas raison peut-être ? Dis-moi pour quoi c’est faire au moins,. Gilbert ! Dis-moi le ! Parle-moi ! Merde enfin Gilbert, tu vas pas te mettre à avoir des secrets pour moi, je suis quand même ton conjoint…
LUDOVIC. — Ta conne jointe plutôt…


Muguette baffe Ludo qui passait.


MUGUETTE. — Toi !
LUDOVIC. — Damn !
GILBERT. — C’est pour l’estafette.
MUGUETTE. — Quoi ma fête ?
GILBERT. — L’estafette. La camionnette.
MUGUETTE. — Eh ben oui quoi ? Depuis le temps que je te dis qu’on devrait la vendre celle-là, au poids, pour s’en racheter une meilleure, avec la tonne de ferraille qu’elle pèse, à pousser dans la grande côte chaque fois qu’elle nous lâche !
GILBERT. — Je voulais juste la repeindre.
MUGUETTE. — Quoi ?!
GILBERT. — …pour elle.
MUGUETTE. — Mais pauvre crétin, qu’est-ce que tu veux qu’elle…? Oh ! Pour elle ? C’est ça que tu viens de dire ?
GILBERT. — Oui. Pour elle, quoi.
MUGUETTE. — Mais Gilbert, pourquoi ?
GILBERT. — Comme… tu sais, les stars, là, sur les tournages de cinéma. Chacun dans sa petite caravane…
MUGUETTE. — Avec son nom au dessus de la porte, en rond ?
GILBERT. — Et des petites loupiotes sur tout le pourtour des hublots et…
MUGUETTE. — Oh mon Gigi…
GILBERT. — Tu vois ?
MUGUETTE. — Ben alors qu’est-ce que t’attends ? Vas-y ! Fais ce que tu dis, au moins une fois dans ta vie, ça nous changera ! (à Ludovic) Et toi, va l’aider au lieu de quoi faire d’ailleurs ? Qu’est-ce que tu faisais ? Et d’où tu sors comme ça, tout dépenaillé, tout…?


Gilbert et Ludovic sortent.


MUGUETTE. — Et partez pas trop loin, hein, on va bientôt déjeuner ! De toute façon je m’en fous, quand c’est prêt c’est prêt, je me tuerai pas à vous appeler !
Elle se laisse tomber sur une chaise.
MUGUETTE. — Oh ces hommes !
Greta lui re-sert un coup.
GRETA. — Allez, allez…
MUGUETTE. — Non mais des fois…
GRETA. — Tenez, avec l’argent du trophée, vous pourrez vous payer une petite croisière, Muguette, rien que pour vous.
MUGUETTE. — Toute seule ? Merci !
GRETA. — Alors avec une amie…
MUGUETTE. — Non Greta, vous savez quoi ? Vous pouvez garder un secret ?
GRETA. — Moi ? Je suis muette comme une tombe.
MUGUETTE. — Sans rigoler.
GRETA. — Juré.
MUGUETTE. — Avec l’argent du trophée, moi, je me paie des nouveaux cheveux.
GRETA. — Une perruque ?
MUGUETTE. — Des nouveaux cheveux, des vrais. Regardez.
GRETA. — Han !
MUGUETTE. — Depuis le début de cette histoire, je les perds par poignées. Ils tombent partout. Je sais pas ce que c’est.
GRETA. — Les soucis, Muguette.
MUGUETTE. — Les responsabilités, oui.
GRETA. — Vous pensez trop aux autres, voyez.
MUGUETTE. — C’est mon destin Greta. Rien à faire. Notre Marguerite doit gagner ! Cet été ! Plus que huit jours, mon dieu…
GRETA. — Et la levure de bière, vous avez essayé ?


imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.