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Couverture de Les Serviteurs

Les Serviteurs

de Jean-Luc Lagarce


Les Serviteurs : Extrait 1

ThCI, p. 204-206

LE CHAUFFEUR. – Nous en revenions toujours là. Tant d’efforts pour si peu de résultats. Il fallait admettre les faits. Monsieur et Madame mouraient inexorablement… avec si peu d’entraînement… le manque d’habitude en de tels moments… nous n’arrivions jamais à enrayer quoi que ce soit…


LA CUISINIÈRE. – Les serviteurs changèrent de stratégie. Une idée comme une autre…


LE CHAUFFEUR. – C’était le soir du grand enterrement douloureux et fleuri de Madame et Monsieur… Nous avions les yeux rouges et nos mains nous faisaient mal d’avoir tant applaudi au discours du prêtre… Il était un peu tard, j’en conviens…


LA CUISINIÈRE. – C’était avant, bien avant tout cela… admettons ce fait également… A l’époque, personne n’aurait pu supposer que Madame et Monsieur puissent disparaître… Admettons « aujourd’hui » que nous ayons eu cette initiative… Nous aboutirons à la même conclusion, de toute façon, j’en suis certaine…


LE CHAUFFEUR. – Un soir, donc, Madame et Monsieur s’égarèrent comme par inadvertance dans la cuisine… ou bien encore, les serviteurs les y convoquèrent, les y traînèrent de force « et leur tinrent à peu près ce langage… ».


LA PREMIÈRE FEMME DE CHAMBRE. – Madame devenait vieille. La première femme de chambre sentait le printemps la talonner. Elle en avait assez des dentelles froufroutantes de Madame, elle décida de partir… Quitter le service de Madame après tant d’années…


LA DEUXIÈME FEMME DE CHAMBRE, dans la robe noire à fleurs rouges. – C’est une histoire étrange que vous nous racontez là, ma fille…


LA PREMIÈRE FEMME DE CHAMBRE. – « Je pars ! » déclara la première femme de chambre. « Que Madame veuille bien m’excuser, mais le service de Madame ne correspond plus à mes aspirations profondes… Madame, elle-même, n’est plus ce que je pouvais espérer… »


LE CHAUFFEUR. – Le valet de chambre de Monsieur suit le même chemin. Etait-il, se demande-t-on peut-être encore, à ce moment précis du drame, était-il l’amant de la première femme de chambre ? Le valet de Monsieur, que Monsieur lui pardonne, que Monsieur veuille bien lui pardonner, que Monsieur, une dernière petite fois, nous fasse une démonstration rapide de sa miséricorde…


LA PREMIÈRE FEMME DE CHAMBRE. – « Oui, Madame, je sais… Pour moi, ici, la vie n’est plus vraiment possible… Je pars vers d’autres horizons… Je chercherai une autre Madame… Madame, je vous l’accorde toutefois, Madame est proprement inimitable et jamais personne ne peut envisager de prendre sa place dans mon cœur… Je travaillerai dans une autre maison, une maison moins déliquescente… Madame, la nouvelle, sera moins évanescente que Madame, Madame-ici, Madame-vous… »


Un temps.


Ils auront des enfants.


LA DEUXIÈME FEMME DE CHAMBRE. – Des enfants ! Mon Dieu, ma fille, des enfants ! Y songez-vous vraiment ? Des enfants… ? Ces épouvantables drames domestiques, destructeurs d’esthétique féminine ?


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