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Couverture de Le Bazar du Homard

Le Bazar du Homard

de Jan Lauwers

Texte original : The Lobster Shop traduit par Monique Nagielkopf , Gregory Ball


Le Bazar du Homard : Extraits

Axel
Il m’est arrivé un jour, dans un restaurant, après avoir vu un homard dans le vivier à l’étalage, de le commander, préparé à la sauce armoricaine. Je portais mon costume blanc, le garçon a trébuché et le homard avec sa sauce brûlante a atterri sur mes genoux. Je me suis senti horriblement mal à l’aise et j’aurais voulu disparaître le plus rapidement possible. Le garçon a dit : « Oh, monsieur, je suis vraiment désolé » et, en vérité, j’ai vu les larmes lui venir aux yeux. Puis j’ai remarqué le silence dans le restaurant, suivi par les gloussements des convives et le garçon a dit : « Ne le dites pas à mon patron, s’il vous plaît » mais dans un langage maladroit que je n’ai qu’à peine saisi. Je comprenais bien que l’homme était dans une situation épineuse, mais moi aussi. J’ai senti monter en moi une certaine colère, et la panique dans les yeux du garçon m’a fait soupçonner que cela n’allait pas améliorer sa situation. Il m’a accompagné aux toilettes et a essayé d’endiguer la catastrophe. J’ai lu : « Prière de ne pas sucer les pierres à urinoirs », j’ai regardé dans le miroir et j’ai détourné les yeux.


Imaginez donc : je suis là, dans les toilettes d’un restaurant, mon pantalon est trempé et dégoûtant et un garçon me supplie de ne pas le trahir parce qu’il va perdre son travail, car c’est la troisième fois qu’il trébuche avec un homard : la troisième fois qu’il trébuche avec un homard.


Je hurle : « Peut-être que vous n’êtes pas capable de servir du homard et donc il vaudrait mieux que vous n’en serviez plus jamais, du homard. » Il me répond en criant lui aussi. Je crie encore plus fort. Et finalement ce sont les cris et les hurlements qui alertent le patron de ce restaurant à la con et il ouvre la porte des toilettes d’un coup de pied et voit ceci :


Le blanc du lavabo maculé de l’orange vif de la sauce armoricaine qui s’écoule, les serviettes en papier à terre, tout dégouline, tout est gluant, les misérables carreaux de faïence du sol sont glissants, l’odeur des produits chimiques et le garçon en larmes, à genoux devant moi. Le garçon voit le patron et beugle : « Vous m’avez dénoncé, je suis perdu. » S’ensuit une scène hystérique au cours de laquelle le garçon démolit toute la baraque tandis que les clients s’enfuient du restaurant. Le garçon se précipite sur moi en brandissant le dernier homard vivant et pendant qu’il essaie de m’enfoncer ses pinces dans les yeux, il hurle : « Que signifie un homard ? » Que signifie un homard !


Nasty
La rue de Flandre était notre champ d’action. Une rue étroite recouverte d’asphalte défoncé à travers lequel les pavés essayaient de remonter à la surface, comme des méduses qui viendraient happer de l’air. Mais Salman disait que les méduses ne happaient jamais de l’air. Salman savait bien plus de choses que moi. Quand le camion de mon père roulait dans la rue, toutes les vitrines des magasins trépidaient. Les réflexions de nos corps sur les vitres sombres tressautaient et alors, nous nous enlacions. Du coup, on aurait dit que nous baisions debout. Un jour, Salman a brisé la vitrine d’une animalerie pour libérer un perroquet géant, qui était accroché par une chaîne à son perchoir. Mais l’oiseau a mordu Salman, qui a lui foutu une telle claque que la bestiole stupide est tombée de son perchoir et est restée pendouiller à sa chaîne. C’était plutôt tristounet, mais Salman, cela ne lui faisait ni chaud ni froid, il a tiré une plume de la queue du perroquet et me l’a piquée dans les cheveux. Les trépidations du camion, la vitre qui volait en éclats, les chiens qui aboyaient, les lumières qui clignotaient, c’était une partie de plaisir et dans le cul du perroquet, il n’y avait plus que quatre plumes, à sa grande ire.



Catherine Lorsque Axel a vu le pêcheur avec son petit bateau, cette nuit-là, il a cru reconnaître Mo, ce joyeux luron impie, terroriste, artiste et amant, réfugié et passeur. Le pêcheur qui avait une panne de moteur avec son bateau ! Au moment même où Axel s’apprêtait à rejoindre Theresa et son fils. C’était comme si la mer commençait à se coaguler et que, rendu invulnérable par son chagrin, il serait capable de mettre fin à la vie de ce Mo, ce faux ingénieur et constructeur de bombes, cet amant grossier, ce passeur d’imbéciles. Et c’est ainsi qu’il est entré dans l’eau. Avec ses espadrilles Gucci aux pieds et son T-shirt Margiela, parce que le bon goût est un signe de pouvoir. Et c’est alors que l’hélice a happé un morceau de sa jambe gauche – il a encore juste eu le temps de penser : mon pantalon safari Armani ! Et le pêcheur, qui s’appelait Édouard et était infaillible en matière de plies et de raies, mais ignorait tout des cris et des plaies, en sentit ses sangs tourner.


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