" La Malcastrée a été écrite moitié dehors, moitié dedans, entre deux opérations, entre les rues de Paris et les hôpitaux, dans le silence, demi-honteuse, toujours triomphante, entre la réalité et le rêve. Les mots sont étroitement liés à mon corps, à ma maladie. Je n'ai jamais envié une bonne santé. Et pourtant j'écrivais déjà avant la maladie, dans l'enfance. Un geste, ce geste, l'acte, rejeter. Il n'y avait pas cette tentative littéraire. Cette tentative exhibitionniste. Se reconstruire avec des mots. Se reconstruire en espérant surtout ne jamais y arriver. La Malcastrée, c'est déjà si vieux. 1971. La recherche du comment. Le système des mots, comment on y entre. Ecrire comme on meurt ou écrire quand on ne meurt pas. Ecrire comme on se suicide. Le suicide est préparé, la cérémonie va se dérouler en ordre sans faute. Tout est prêt. J'ai envie de mourir. J'ai envie d'écrire. Des petits bouts de papier, des petits textes courts de trois ou quatre phrases, des mots arrachés. Ecrire mon suicide. Je me dédouble. J'ai envie d'écrire de décrire ma mort. Et écrire aussi pour ne pas mourir. Je suis soulagée. C'est comme si je m'étais suicidée. La lutte entre le mot et la mort. On ne peut faire les deux. Triste justification. Puis une période de montage. Un puzzle. Une tentative de me reconstruire avec mes mots rangés dans des paniers de paille et des boîtes en carton. Construire une machine vie. Moi. C'est une période 'd'exaltation. Je reconstitue mes morts ratées, mes morts mortes. Un désir de construire des morts vivantes. Un rythme, un souffle. Retrouver dans des petits cris de douleur, la douleur, le cri. Après, c'est la douce folie. Folle douce, névrotique travail de Pénélope. Je fais, je défais, je refais pareil. Taper, retaper le manuscrit. Faire le même travail. Changer un mot, reprendre ce mot, le rechercher, le retrouver, le rejeter jusqu'à l'angoisse. La musique de la machine, le tape-tape, moi folle douce je souris. La machine tape. Je fignole l'enfant, je cisèle, je tricote. Changer un mot, une virgule remettre. Délire. Délire. Délire. Détruire. Délirer vers quelqu'un. Délirer jusqu'à quelq'un qui dit oui. On n'existe pas sans les autres.