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L'Enfant que j'ai connu

de Alice Zeniter


L'Enfant que j'ai connu : Note d'intention

de Alice Zeniter

Au départ – autant que je l’avoue – ce texte devait être tout autre. Il tournait autour de Cédric Herrou, de l’aide qu’il apporte aux migrants de la Roya et de ses condamnations judiciaires. Et pendant que Julien Fišera et moi discutions de cette idée, nous nous sommes posé la question suivante : est-ce qu’une pièce sur ce sujet pourrait faire changer d’avis un spectateur ou une spectatrice qui considérerait Herrou ou ceux qui mènent les mêmes actions que lui comme des criminels ? Et puis, cette question s’est ramifiée : Est-ce que nous avions, nous-mêmes, déjà changé d’avis après avoir vu un spectacle ? Ou lu un livre ? Qui avait été vecteur de changements d’opinions dans nos vies ? Quelle part de notre vision du monde avait été forgée par nos parents ? Et quelle part jugions-nous importante de transmettre aux générations nées après nous ?


Peu à peu, s’est imposée cette envie de parler d’une transmission qui sorte des schémas préétablis. D’abord parce que dans ce texte, c’est le fils qui apprend à sa mère quelque chose du monde et ensuite parce que cette transmission a lieu après la mort de l’enfant. C’est une transmission qui tient du puzzle : il faut rassembler les morceaux, les souvenirs, reprendre les lectures là où l’autre les a arrêtées, se rappeler les discussions d’avant... Dans la voix de la mère qui s’élève pour essayer de dire quelque chose après la mort, après la déflagration, il y a des chiffres, des odeurs, de la confiture, des acronymes, la tiédeur d’un petit corps blotti contre soi et des images regardées en boucle de voltigeurs.


Lorsque la pièce commence, Nathalie Couderc tente de filmer l’explication des propos qu’elle a tenus deux semaines plus tôt et qui sont accusés d’avoir provoqué une série d’émeutes : « Je ne pensais pas que la police pouvait tuer des enfants blancs ». Je voulais que sa parole déborde rapidement le cadre qu’elle-même s’est posée, qu’elle jaillisse et qu’elle bute, qu’elle dérive, sursaute, se love sur elle-même, qu’elle puisse devenir à la fois tombeau du fils (dans la tradition du « tom- beau poétique » tombé en désuétude) et récit de métamorphose de la mère. S’il y a métamorphose, c’est qu’après la perte brutale de Cédric – un arrachement d’une violence inouïe –, Nathalie a pu se débarrasser d’un certain nombre de choses et que cette façon de se délester est le contraire d’une perte. Elle s’est défait de fausses certitudes, de mensonges confortables, de liens sociaux artificiels et dans le questionnement qui est devenu le sien, dans ce déséquilibre, elle est en mouvement, dix fois plus vivante dans la lucidité et la douleur qu’elle ne l’avait été auparavant. C’est sa façon à elle de faire son deuil, en dehors des formes de rituel imposées. C’est une parole dérangeante, une parole qui me dérangeait même au moment de l’écrire.


Parce qu’à la question, « Est-ce que nous avions déjà changé d’avis après avoir vu un spectacle ou lu un livre ? », c’était la réponse que j’avais retenue avant de commencer à écrire : oui, quand une parole à priori outrancière, nous avait fait penser dans un sursaut « ça va trop loin ! » et qu’il avait fallu après nous demander pourquoi. Quand nous avions conti- nué à dialoguer intérieurement avec une parole qui nous gênait, cherchant à comprendre pourquoi cette phrase suffisait à gripper la machine.


  • Alice Zeniter

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