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Couverture de L'Affiche

L'Affiche

de Philippe Ducros


12e affiche


Le camp. On entend le Qu’ran chanté. Oum Salem et Shahida sur le sofa. Le journaliste étranger filme.


Oum Salem : Les soldats sont là, comme toutes les nuits. Ils crient, ils défoncent les portes, ils entrent dans les maisons, ils éventrent les sofas… Toutes les nuits. Mais nos enfants savent faire voler les pierres, maintenant.
Et Salem arrive avec ses amis. Ils ont leurs armes, des cocktails Molotov aussi… Le visage déformé par les flammes… Les balles…
Tout est rapide. Les murs s’effritent, les pneus brûlent, la nuit se dévore, le diable rit. Ceux qui savent écouter ont entendu Sheïtan rire…
Puis tout se fige, les balles, les étoiles, la fumée… Tout. Je le jure, tout est devenu silencieux.
Et Salem, mon fils, s’écroule lentement.
J’arrête de respirer.
Il n’y a plus un son, plus un bruit.
Salem s’écroule.
Lentement, sa tête rebondit sur le ciment.
Le sang remplit la rue, les douilles sont collantes…
Son ventre se vide…
Mon fils…
Mon petit…
Les soldats empêchent l’ambulance d’approcher.
L’un d’eux est à genoux, il le regarde… Le touche… Le prend dans ses bras… Moi, je n’ai pas pu le prendre, mais le soldat, oui.
Le sang déborde.
Je n’entends plus rien.
Il est mort au bout de son sang. Dans les bras d’un soldat.


Shahida, va chercher l’affiche.
Shahida se lève et sort.


Oum Salem : Le lendemain entre les appels à la prière, le muezzin a chanté les louanges de Salem du haut du minaret. Sans arrêt. Mon fils…


Imprimerie. Il y a beaucoup de cages d’oiseaux. Il y a beaucoup d’affiches. Le journaliste filme encore. Les oiseaux chantent.


Abou Salem : Ceux qui croient qu’une mère peut être fière de la mort de son enfant n’ont ni mère, ni père. Ni enfant. Peu importe ce qu’elle dit, ses yeux parlent. Regarde-les, ses yeux ! Tu verras, c’est la fosse commune des anges… Regarde ses poings levés quand elle parle de fierté, quand elle chante et louange Dieu, qu’elle crie que Dieu est puissant. Ils sont blancs, ses poings. Le sang ne s’y rend plus. Que l’amertume. Ses yeux sont noirs, les larmes ne s’y rendent plus, plus rien ne s’y rend. On ne ressent aucune fierté. Aucune. Dis aux journaux de chez vous qu’on ne ressent aucune fierté à voir nos enfants se faire tuer. Tu vas le dire ?
Quand Salem était petit et que nos rues menaient à leurs tanks, ma femme le gardait réveillé toute la nuit. Pour qu’il soit si épuisé qu’il dorme le jour et qu’il n’ait pas joué à lancer des pierres. C’est une mère… Avant tout, ce n’est qu’une mère…
Elle était belle.
Maintenant, elle rouille.


Le camp. Le café amer. Le sofa. Shahida revient avec l’affiche.


Oum Salem : Tu vois ? Tu vois comme il est beau ? En parlant du journaliste étranger. Shahida, tu ne trouves pas que Salem lui ressemblait ?


Shahida : Oui maman.


Oum Salem : Il avait ton visage, ta bouche… Viens… Viens ici. Viens que je te vois, que je touche ton visage…


Elle lui pétrit le visage.
Oum Salem : Je suis sûre que ta mère est fière de toi… Ne meurs pas, mon fils… Ne meurs pas…
Imprimerie. Les cages. Les affiches. La caméra. Les oiseaux ne chantent plus.


Abou Salem : Aujourd’hui, le muezzin a appelé toute la journée. Tu as entendu ? Il y a un autre martyr à Bethléem. Une autre mère meurt à perpétuité. D’autres maisons démolies. D’autres affiches à imprimer. Et demain, il y en aura deux. Puis trois. Il n’y a qu’un dieu et sa terre est un mouroir. Il n’y a qu’un dieu et sa terre est un mouroir. Maintenant va. Je dois préparer la prochaine affiche.


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