Prostituée, artiste, révolutionnaire, Grisélidis Réal (1929 – 2005) est un personnage tellement à part qu'elle mérite à elle seule un spectacle. Travailler sur ses écrits, c'est s'emparer d'un espace de liberté qui nous manque aujourd'hui : un havre à part, unique, où l'on peut exister dans sa singularité, et assumer cette différence, sans excuse ni scrupule. La dignité y défie l'apitoiement bien-pensant. Réal occupe un terrain de lutte et de jouissance. L'écriture de Réal invite à la représentation. Le monde de la prostitution est déjà sans doute un théâtre en soi, avec ses codes, son langage, ses costumes : rituels répétés des prestations, cérémonies du maquillage et de l'habillement, empathie avec les clients, représentations des désirs, circulation des halètements et des fluides. De cet univers, Réal crée une langue, précieuse, dure, viscérale. Une langue qui demande à être dite, à s'entendre crachée et murmurée ; qui gagne à traverser d'autres corps, d'autres lieux. C'est là le coeur du projet Et le Respect : une prolongation de l'expérience littéraire réalienne, une caisse de résonance qui l'amplifie. Et le Respect est donc une boîte à songes : une aire rectangulaire et fermée, gainée de blanc, une bulle de résistance, diaphane, mi-lupanar, mi-champ de bataille. C'est une grande lanterne magique qui redéploie l'histoire d'une vie, par hoquets, dans l'incarnation d'une écriture, étreignant plaisirs, colères et luttes. Dans son voyage immobile et heurté, Grisélidis Réal invitait ses contemporains à refuser l'ordre établi : à définir son propre rapport, libéré et jouisseur, à la morale, au plaisir et à l'ordre du monde. D'un zénith à un crépuscule, Et le Respect... poursuit ce geste simple, cet élan vertical, tissé de douceur et de colère.