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Couverture de Carthage, encore

Carthage, encore

de Jean-Luc Lagarce


Carthage, encore : Extrait : Incipit

ThCI, p.53-54

Le début de la Lettre à Elise.


LA RADIO. – ... et de plus, il fait beau. Ailleurs, l’herbe n’est pas plus verte, le ciel n’est pas plus bleu. Dans les champs de plastique, courent sans fin des enfants ivres de bonheur condensé et obligatoire, qui foulent de leurs pieds agiles les romantiques fleurs artificielles. Et sur la fantastique et merveilleuse route de béton, arrive à grands pas la jeunesse pure de demain.
Et de plus, il fait beau...
... et poursuivis par le souvenir triste d’un monde qu’ils ne cessent de regretter, les ennemis véritables de la Patrie et du Bonheur continuent à glapir les slogans litanaires et monotones de leurs revendications stupides. Mais la force vivante et sublime des espoirs communs fait naître sur les visages de l’homme le sourire heureux de la Foi.
Le mieux est toujours pour demain, mais demain n’est plus si loin.
Demain, c’est pour bientôt.
Et de plus, il fait beau...
... et par un travail laborieux mais bénéfique, chacun doit se sentir fortement soutenu par un effort général. Les véritables amis de la Patrie et du Bonheur total se doivent de comprendre que la nécessité n’est pas dans la recherche de la félicité individuelle, mais dans l’accomplissement profond du destin général et superbe. Nul ne peut se contenter du souvenir d’un monde défait ou de l’espoir ridicule d’un hypothétique monde meilleur. Ailleurs, l’herbe n’est pas plus verte. Ailleurs, comme partout, l’herbe n’est plus qu’un mot.
Et de plus, sans effort supplémentaire, il fait beau.


LA PREMIÈRE FEMME. – ... et quand nous voudrons, nous irons à la mer.


LA DEUXIÈME FEMME. – ... En effet, ce doit être si joli, la mer en automne, au printemps, en été, en hiver.


LA PREMIÈRE FEMME. – ... et sur les cartes postales qu’on distribue, on voit du sable blond nullement synthétique et des restes frugaux de pique-niques dominicaux abandonnés. Et partout des enfants et des ballons qui jouent ensemble.


LA DEUXIÈME FEMME. – ... et nous prendrons le train, l’avion peut-être. Et nous irons vite, très vite, à perdre ce qu’il nous reste d’haleine, vers la mer qui doit être si jolie en automne, au printemps, en été, en hiver.


LA PREMIÈRE FEMME. – ... Ce ne doit plus être si loin, la mer qui sent bon et qui bouge.


LA DEUXIÈME FEMME. – ... sur les photos d’actualités, on voit des gens qui courent. Oui, oui, qui courent, et même qui sautillent et qui sautonnent. Et des enfants qui jouent au ballon, qui jouent à tout ce qu’on peut imaginer. Des enfants avec des mèches de cheveux dans les yeux.


LA PREMIÈRE FEMME. – ... ce doit être si joli les mèches de cheveux dans les visages des enfants qui courent gratuitement, pour rien, avec le vent dans le dos.


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