Le sujet de la prostitution est au carrefour de plusieurs problématiques qui me touchent particulièrement. En premier lieu, elle soulève la question de la place des femmes dans la société, du regard qui est porté sur elles et sur leur sexualité – même si le sujet ne peut se réduire à cela, car la prostitution ne concerne pas seulement les femmes. La marchandisation du corps, mis au service du désir de l’autre, vient plus largement interroger notre idée de ce qu’est le consentement sexuel. S’agit-il d’un vrai choix ? Peut-il y avoir consentement si l’une des deux parties est contrainte, par force ou par nécessité financière ? Quel est le ressenti des personnes qui sont concernées en première ligne ? Comment vivent-elles ces rapports dans leur chair et dans leur esprit ?

La prostitution a un rôle ambivalent dans notre société. Elle est considérée comme une sorte de « mal nécessaire » : honteux, immoral selon certains. Mais persiste aussi l’idée reçue selon laquelle il s’agirait « du plus vieux métier du monde ». Ce cliché, maintes fois démenti et pourtant toujours aussi puissant dans l’imaginaire collectif, se fonde sur le postulat implicite selon lequel les hommes sont habités par des pulsions qu’ils ne peuvent contrôler et pour lesquelles ils ont besoin d’un exutoire. En cela, les prostitués, hommes et femmes, sont en quelque sorte le symbole d’une mauvaise conscience commune, d’une hypocrisie sociale. La tentation d’occulter leur expérience en est d’autant plus forte, et d’autant plus dangereuse.

J’ai voulu m’émanciper de la logique statistique et des idéologies, afin de faire entendre des voix souvent réduites au silence par l’indifférence ou le tabou : celles de personnes qui se sont prostituées par nécessité, par hasard, ou parce qu’elles y ont été forcées. Je souhaitais porter leur parole afin de sortir des clichés, des fantasmes qui entourent ce métier. Je me suis attachée à rendre compte de la diversité des personnes qui pratiquent cette activité aujourd’hui, à travers trois parcours de vie très différents.

Rencontrer les victimes accompagnées par les Équipes d’action contre le proxénétisme a été pour moi une expérience bouleversante. Après avoir écouté leurs histoires, admiré leur courage et leur capacité de résilience, il est devenu évident que leurs témoignages seraient l’âme du projet.

Ce qu’ils ont vécu est trop grave, trop important, pour être ignoré.

Hélène Trembles