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Blockhaus : Extrait 1

Extrait proposé par A mots découverts

Face A


On entend Lili Marleen chanté par Marlène Dietrich. La chanson semble sortir du blockhaus. On dirait qu'il chante. Élios et Charline apparaissent par un côté du bâtiment, sur les rochers, la mer en fond. Respiration-paysage. Katja circulera dans le paysage pendant les deux premières faces, elle apparaît, disparaît, au lointain ou à proximité des spectateurs.


– Élios : Charline Grand ?


– Charline : Charline Grand. Élios Noël ?


– Élios : Élios Noël. Ciel ? (regard)


– Charline : Nord ? (regard)


– Élios : Sud ? (regard)


– Charline : Est ? (regard)


– Élios : Ouest ? (regard)


– Charline : Blockhaus.


– Élios : Puisque tout le monde est là nous pouvons commencer.


– Charline : Quand nous commémorerons les 100 ans du Débarquement, le 6 juin 2044, il n'y aura plus aucun vétéran. Ou alors un type unique en fauteuil roulant, couvert de médailles et de transfusions, qu'on poussera sur les chemins cabossés menant aux anciens théâtres des opérations. En grappe autour de lui, une forêt mouvante de caméras, et poussant le fauteuil, ses arrières-petits enfants qui auront appris dans les livres d'Histoire


– Élios : sur Internet


– Charline : pardon, sur Internet, ce qu'il s'était passé ici et pourquoi leur grabataire était un monument du passé.


– Élios : Quand cette guerre sera pour les humains aussi insignifiante que l'est aujourd'hui la Guerre de Cent ans ou les guerres antiques entre Grecs et Romains. Quand cette guerre aura presque disparu des mémoires et des livres d'Histoire


– Charline : et d'Internet


– Élios : oui, pardon, d'Internet aussi... mais... on ne disparaît pas d'Internet. Sauf si Internet lui-même disparaît.


– Charline : Des livres non plus on ne disparaît pas, d'autres livres plus actuels viennent peu à peu pousser les anciens à la cave, ou au grenier


– Élios : c'est pareil pour Internet, d'autres informations viennent balayer les anciennes


– Charline : oui


– Élios : eh bien quand cette guerre aura été poussée définitivement à la cave ou au grenier eh bien... eh bien...


– Charline : eh bien ?


– Élios : Eh bien... voilà.


– Charline : Quoi ?


– Élios : On n'en parlera plus. (Temps)


– Charline : Si. Quelques spécialistes du XXème siècle, qu'on appellera des vingtièmistes, s'intéresseront encore à cette époque ancienne. Il y aura des étudiants en XXème siècle, des étudiants qui auront découvert à l'école que le XXème siècle fut le plus meurtrier de l'histoire humaine.


– Élios : Ça t'en sais rien, on fera peut-être plus fort dans un autre siècle.


– Charline : Oui... mais pour faire plus fort il faut d'abord qu'on oublie le XXème siècle. Pour commencer à sortir de l'ombre portée de la Seconde Guerre mondiale, il faut que tous ceux qui ont vécu cette guerre disparaissent.


– Élios : Ça, on y est presque.


– Charline : Et deuxièmement, tous ceux qui ont connu ceux qui avaient vécu la guerre devront mourir aussi.


– Élios : C'est nous ça ?


– Charline : Oui.


– Élios : Bon. On n'y est pas encore. Ça nous met à quand ?


– Charline : Tu nous vois mourir quand ?


– Élios : Je sais pas... vers 2060, 2070 ?


– Charline : ce qui nous fera ?


– Élios : Entre 80 et 90 ans.


– Charline : Ok, ça me va, disons cela alors. Donc, c'est alors seulement, vers 2060/2070, que de jeunes gens arriveront à l'Université, regarderont les matières


– Élios : histoire d'Internet


– Charline : par exemple, et diront : oh tiens, regarde ce truc, les Guerres Mondiales au vingtième siècle, ça a l'air pas mal, je crois que je vais prendre ce cours, c'est 20 heures de cours magistral et 12h de travaux dirigés


– Élios : non mais ça existera plus ça. Ils diront plutôt : j'achète ce cours, il font une promo, il est dans le bouquet « Siècles de merde ».


– Charline : Donc : en 2060/2070, de jeunes gens s'inscriront à l'Université, choisiront le module « Guerres mondiales au XXème siècle », et ces jeunes gens seront nos petits-enfants. Ils nous auront parfois entendus parler des années 1940 et peut-être que certains d'entre eux seront intéressés par ces matières universitaires pour savoir un peu de quoi parlent leurs grands-parents.


– Élios : Et ?


– Charline : Et alors, ils apprendront cette guerre comme nous apprenons aujourd'hui celle de 1870 entre les Français et les Prussiens. Sans passion, sans lien charnel, avec pour simple matière personnelle quelques paroles éparses de leurs grands-parents le dimanche à l'heure du dessert : tu sais mon p'tit, ton arrière-arrière grand-père a vécu une époque terrible où l'humanité entière était en guerre et


– Élios : ils interrompront leurs grands-parents pour aller draguer sur Internet.


– Charline : Oui. C'est probable. Ils nous interrompront donc.


– Élios : Les ptits salopards.


– Charline : C'est ainsi. Nous serons de plus en plus vieux et à notre tour nous mourrons, et tout ce que nos grands-parents nous avaient raconté s'amenuisera peu à peu dans la mémoire de nos descendants et alors il n'y aura plus personne qui ait vraiment quelque chose à voir avec cette histoire de guerre mondiale et de XXème siècle.


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