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Nous ne sommes pas seuls au monde

+ d'infos sur le texte de Elise Chatauret
mise en scène Elise Chatauret

: Note de mise en scène

« Ce texte est né d’une rencontre avec une jeune femme d’origine sénégalaise qui m’a fait le cadeau du récit d’une partie de sa vie et de celle de ses parents.
Cette jeune femme a grandi en banlieue parisienne. Son père, ouvrier sur les chantiers, sa mère, femme de ménage dans de grandes entreprises de luxe, ont mené une vie recluse d’immigrés pauvres, reniant, pour le bien de l’intégration de leurs enfants : culture, traditions culinaires, religieuses et surtout leur langue.
Cessant de parler, ils cessent alors tout contact physique avec leurs enfants, ils cessent de les prendre dans leurs bras ou tout autre geste de tendresse. Cette jeune femme me raconte avoir grandi avec la sensation vertigineuse de ne jamais se voir quand elle se regardait dans un miroir. On ne la touchait pas, on ne lui parlait pas, alors elle ignorait sa propre existence.


L’histoire


Mon travail d’écriture a été celui de la transformation de la matière brute de l’entretien pour en saisir l’essence.
« Nous ne sommes pas seuls au monde » raconte l’histoire d’un homme dont les parents, immigrés, ne lui ont rien transmis de leur culture d’origine. Arrivé à l’âge adulte, cet homme tombe amoureux d’une femme, blanche. Ensemble, ils ont une fille.
A sa naissance, l’homme noir ne parvient pas à parler à son enfant. La pièce interroge en filigrane l’exil, l’identité, la transmission, l’ethnocentrisme, le racisme mais questionne surtout la langue. La pièce interroge ce qui, en chacun de nous, est exilé et seul, incompréhensible et muet, ce qui, de notre langue intime et personnelle, a peine à se transmettre.


Un duo intimiste et sensoriel


Sur scène, l’homme noir et la femme blanche font entendre différentes voix et époques. Ils énoncent librement différentes subjectivités, défiant la notion de personnage et laissant les voix et les paroles libres d’être interprétées par le spectateur. Parfois, l’homme noir dit les mots de la femme blanche et réciproquement.
Les acteurs sont des récitants traversés par fulgurance de réminiscences. Le spectateur assiste à des irruptions de moments vécus dont il peut chaque fois douter comme d’un rêve éveillé.
Philippe Ménard, chorégraphe, travaille à l’écriture des corps. Les acteurs sont habités de mouvements imperceptibles provoqués par la réalité contenue dans les mots. Ils ne montrent rien mais travaillent à sentir. Le spectateur est invité à pénétrer un univers intime, il assiste de façon privilégiée à un duo délicat et sensoriel.


Un dispositif bifrontal


Le plateau est en bifrontal. La jauge est réduite afin de renforcer l’intimité du moment.
Au sol, un tapis blanc de part et d’autre duquel sont assis les spectateurs. Les deux corps des acteurs, habillés de noir, dessinent des espaces différents qui traversent les époques.
Le spectateur ne voit qu’une partie du visage de l’acteur, regarde la réalité de biais. Cette perception de côté est une invitation à un déplacement du regard.
Le dispositif invite aussi à regarder les autres spectateurs et à éprouver l’altérité, le regard porté par l’autre et sur l’autre : le théâtre en train de se faire.


Nous travaillons sur des sensations intérieures


Avec Marie-Hélène Pinon, créatrice lumière et Francine Ferrer, créatrice sonore, je travaille sur des sensations intérieures. J’invite le spectateur à éprouver une altérité qui pour autant lui parle, à entrer dans un espace mental qui n’est pas le sien.
Les comédiens sont équipés de micros HF. Ils travaillent dans des intensités vocales faibles qui renforcent l’intimité et la force de la relation au spectateur. Ce travail sonore permet une musicalité de la parole qui échappe au naturalisme. La parole est légèrement décalée. Elle raconte une énonciation proche du récit et de la pensée à voix haute. Dans l’histoire que nous racontons - celle d’une langue perdue, oubliée, enfouie - il nous a semblé important que la relation au langage subisse un décalage.
La lumière dessine des carrés sur le tapis blanc, racontant une mémoire fragmentaire, des parcelles de souvenirs réinventés.
Elle joue des contrastes, ouvrant par moment l’espace ou le resserrant, selon, pour mieux raconter des espaces intérieurs ou celui, plus large, du théâtre. Le son accompagne ces mouvements, parfois matière intérieure, parfois espace extérieur.
Les acteurs, l’espace, la lumière et le son inventent ensemble une langue qui dise le silence de celle qui n’a pu s’entendre. Ce que les seuls mots ne peuvent transmettre, la langue polymorphe du théâtre le rend partageable, façon d’éprouver que nous ne sommes pas seuls au monde. »

Elise Chatauret

juillet 2014

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