Comment est née cette version des trois petits cochons ?

Cette histoire fait partie des contes populaires transmis par voie orale, qui raconte le parcours initiatique de trois petits animaux voulant se protéger des dangers de la vie en construisant leur propre maison Mises à l’épreuve du souffle dévastateur du Loup, deux d’entre elles cèdent, et la troisième, de briques, résiste et protège le dernier petit cochon des dents du Loup.

La littérature enfantine est riche de nombreuses versions de ce conte. J’ai proposé à Noëlle Revaz de se réapproprier à son tour cette histoire, en la bousculant pour la replacer dans un cadre contemporain.

Construire sa maison... qu’est-ce-que cela signifie à l’heure actuelle ?

Comment un enfant construit-il sa cabane aujourd’hui ? Qui sont les passeurs de savoir ? Où trouver un paysan qui nous donnerait du foin, un menuisier des planches de bois, un maçon quelques briques ? Contre qui les enfants peuvent-ils se confronter à l’ère d’internet et des jeux vidéos ? Protégés en permanence par l’éclat rassurant des écrans, par des fenêtres tactiles séparant le monde des jeux virtuels de la réalité, où peuvent-ils rêver d’aventures vivantes qui les confronteraient à leurs instincts, à leur animalité.

L’idée de construire sa propre maison symbolise aussi la construction de sa propre identité, de son univers intérieur, comme de son apparence et ses signes extérieurs. C’est donc aussi le travail sur le rêve de sa propre maison qui est au centre de cette histoire. Comment construire son architecture intérieure, ses chambres à vivres ou ses recoins secrets où se cacher.

Tous les éléments de la fable sont mis à contribution pour développer un monde imaginaire : de la structure même de l’histoire jusqu’au Loup. Ils sont là pour servir une aventure où tous les aspects du conte sont replacés dans une configuration scénique particulière. L’intérieur de la maison va s’ouvrir sur une île imaginaire sur laquelle vit le célèbre Loup que les enfants veulent rencontrer et défier.

En quoi s’agit-il d’un conte initiatique ?

Les Trois Petits Cochons, c’est aussi une histoire de fratrie, de famille : une maman qui lance ses enfants dans la vie, à eux de trouver leur fortune. En se séparant de leur mère, les enfants entament une quête initiatique pour atteindre leur indépendance : quitter les repères rassurants ou contraignants de la maison protectrice pour se confronter au monde. Mais où est le monde ? De quoi est-il fait ? Correspond-il à nos attentes ? Quelles illusions faut-il abandonner, quels rêves faut-il traverser pour se trouver, pour se raconter ? Le théâtre offre cette chance aux enfants - et à tout public : se connecter à la réalité de leurs émotions face à des histoires portées par d’autres humains, dans un univers d’illusion.

Qu’est-ce qui a guidé votre mise en scène ?

Je souhaite amener les enfants à découvrir le processus de transposition qui permet de passer du récit à la fiction incarnée par des personnages de théâtre. De la première réplique de la pièce jusqu’à l’arrivée sur l’île du Lard en avion, les spectateurs vont suivre quatre comédiens qui les entraineront en douceur dans la féerie d’un conte jusqu’à un spectacle.

J’ai également à coeur de proposer au jeune public une version du conte ludique et poétique, qui leur permette de revivre toutes les émotions d’un récit qu’il connaît déjà.

Enfin, il me semble important de s’amuser des entorses faites au conte original, pour stimuler l’imaginaire des enfants, et les rendre sensibles au fait qu’une histoire n’a pas qu’une seule interprétation, et que chacun d’entre nous peut rêver à d’autres péripéties et dénouements.

Pouvez-vous-vous nous décrire les personnages de l’histoire ?

Noëlle Revaz a d’emblée perçu avec beaucoup de simplicité et d’efficacité les différents niveaux de narration théâtrale, et elle a proposé une galerie de cinq personnages, que je propose de répartir entre quatre comédiens :

Les trois comédiens interprétant les trois petits cochons sont les représentants des enfants du public sur scène : ils les emmènent avec eux dans leurs aventures, les invitent à chanter avec eux, à montrer au Loup comment souffler, les prennent à témoin pour se moquer de lu, puis tremblent de peur avec eux lorsque celui-ci devient méchant. Par le simple plaisir du jeu, ils leur font croire qu’ils sont réellement des cochons, sans aucun artifice de maquillage ou de déguisement : ce seront les situations de jeu qui confirment leur statut de personnages de petits cochons.

La Maman, un peu magicienne, est le personnage principal de la transition entre le monde réel et le théâtre ; dans son boudoir, la liste de ses produits cosmétiques aussi étranges que cocasses sont moins de vrais produits de soins que les ingrédients d’une soupe de sorcière qui va transformer la réalité du quotidien pour l’ouvrir sur un espace imaginaire du théâtre. Ses pouvoirs magiques lui permettront ensuite de jouer le rôle du Loup. La Maman reviendra tranquillement accueillir ses enfants au retour de leurs aventures, ramenant le calme et la réalité apaisante sur le plateau.

Le Loup, enfin ; Noëlle Revaz en a fait un personnage délicieux: décati et apeuré au début, l’estomac plein d’air à force de manger de l’herbe, il parvient, grâce à l’insistance et aux provocations des enfants, à retrouver son caractère dangereux, permettant au conte de se terminer dans sa version originale. Ce personnage sera le seul personnage affublé d’un masque et d’un déguisement pour affirmer son rôle de prédateur, symbole de toutes les peurs enfantines.