Après la musique de scène de la petite Catherine de Heilbronn, réalisée avec le groupe fleur inverse, et axée sur la rencontre étrange de sonorités électriques, électroniques et médiévales, j'imagine pour la Marquise d'O… une musique accordée sur la mise en scène quasi-chorégraphique de Nikson Pitaqaj. Le jeu très rythmé des comédiens y est soutenu par une musique très dessinée rythmiquement, comme pour donner une impulsion mécanique aux marionnettes de cette scène sociale enserrées dans une vision de la réalité très codifiée.
L'environnement sonore est donc au premier abord très âpre : différentes sortes d'instruments à cordes pincées donnent des frappes sèches, dures, en référence à une certaine lecture de l'esthétique de la musique japonaise. Koto japonais, théorbe, harpe, guitare, alto ou contrebasse en pizzicato fournissent une variation continuelle des attaques mais aussi des résonances.
Et c'est dans le rapport entre l'attaque et la résonance que se joue le drame musical. La résonance d'un instrument à cordes est la conséquence du geste de l'attaque mais aussi l'autre lieu du discours musical. Laisser l'instrument vibrer naturellement, c'est délaisser pour un instant la domestication du son par les gestes, par les rythmes pour écouter la part du son "sauvage", libre.
Ainsi les dits, les faits et gestes des aristocrates échappent-ils sans cesse à leur environnement codifié, rigide pour suinter d'humanité, et lorsque le scandale éclate, le refoulé remonte à la surface pour un combat violent entre le carcan des conventions et la liberté des sentiments. La musique de la marquise d'O… pourra donc évoluer de moments rythmiques âpres, très rêches, très secs, à des résonances libres et pleines, en passant par des sonorités aux résonances entretenues, tendues, ouvragées.

Grégoire Lorieux