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Zoom

mise en scène François Rancillac

: Genèse

ZOOM, une commande d’Odyssées en Yvelines


A l’origine de Zoom, il y a la proposition de Laurent Fréchuret, directeur du Théâtre de Sartrouville – CDN, de participer au cru 2009 des Odyssées en Yvelines (qui produisent tous les deux ans 6 créations destinées au « jeune public »). Le souci (louable !) de Fréchuret est d’ouvrir sa programmation aux adolescents : il me demande donc si je serais partant pour imaginer un monologue qui se jouerait à même les classes de collégiens (de 3ème). Comme l’aventure est nouvelle pour moi, j’accepte d’emblée, aimant par principe me coltiner à ce que je ne sais pas faire (être « artiste », c’est un peu ça aussi, non ?).
Metteur en scène irréductiblement lié à l’écriture, me voilà en quête d’un texte idoine... En fait, je n’ai pas cherché bien loin, avant de réaliser que ce projet au contexte si précis était l’occasion rêvée pour passer à mon tour commande à un auteur, qui sache d’emblée écrire et rêver à l’intérieur de ce cadre. En fait, je n’ai pas non plus cherché bien loin, avant de m’adresser à un écrivain que je côtoyais alors quasiment quotidiennement à La Comédie de Saint-Etienne (puisqu’il y est associé), et surtout dont j’apprécie depuis belle lurette les oeuvres autant que la démarche.


ZOOM, une commande d’écriture


C’est donc à Gilles Granouillet que je transmets la commande dudit monologue, ajoutant même aux contraintes celle de faire de la classe le « décor » de la pièce (je n’avais a priori aucune envie de plaquer une quelconque scénographie sur l’espace brut et pauvre mais tellement chargé de la salle de classe). Gilles, comme je l’escomptais, relève aussitôt le défi, me propose peu après deux ou trois pistes possibles, dont celle d’une jeune mère en quête de réussite sociale pour son fiston, que je retiens d’emblée. Gilles se met alors au travail…


Rendez-vous avec une voix


Comme promis (il est homme de parole), Gilles me rend le manuscrit de Zoom en mars 2008, qui me réjouit audelà de mes attentes. Il y aura évidemment des retouches de détail ici et là, mais l’essentiel est entre mes mains, prêt à naître ! Reste à trouver l’heureuse élue qui aura les épaules pour donner corps à ce torrent de mots et d’émotions... Chose rare dans ma petite vie de metteur en scène, en lisant Zoom, j’entends d’emblée une voix, celle d’une comédienne engagée il y a plus de dix-sept ans sur une simple lecture publique, à la Scène nationale de Bar-le-Duc, et depuis complètement perdue de vue : Linda Chaïb (que j’avais remarquée parmi la formidable promotion de jeunes comédiens sortant de l’école d’Antoine Vitez, alors entre Chaillot et le Français). J’ai encore un numéro de téléphone, que j’essaye à tout hasard, et j’entends de l’autre côté la voix en question, à la fois haut perchée et ancrée dans la terre. Surprise, Linda se souvient de moi ! Coup de bol, elle est disponible ! Une seule chose la retient : à quoi bon jouer dans les classes, quand il y a des théâtres faits pour ça ?! On se retrouve le lendemain dans un café.


Le soir même de notre rendez-vous, elle me rappelle : elle a lu la pièce, elle adore, et elle comprend effectivement pourquoi il faut absolument jouer cette histoire de transmission dans le lieu de la transmission par excellence qu’est l’école, l’adresser au plus près des adolescents, là même où ils étudient, où ils sont censés préparer leur avenir d’adultes, de futurs citoyens, peut-être aussi de futurs parents. Bref, elle est de l’aventure. Et elle le sera indéfectiblement, avec une joie, une gourmandise et une rigueur dans le travail qui sont des cadeaux pour un metteur en scène, avec une disponibilité à toute épreuve, qui fût d’ailleurs souvent sollicitée, dans ce contexte si particulier de répétitions et de représentations. Linda a pris à bras le corps cette parole mal dégrossie de jeune femme paumée, perdue et éperdue, assumant sa folie, sa douleur et sa joie, sa bêtise aussi, sa difficulté à parler, sa parano, son besoin fou d’être comprise (d’être aimée enfin ?). Bref, Linda est devenue la voix et l’énergie intarissable de celle qui se nomme elle-même « la mère du Burt ». Aujourd’hui, je ne peux pas imaginer une autre comédienne à cette place-là. C’est bien cette voix que j’ai entendue à ma première lecture.


Naissance au collège


Je n’ai pas d’enfants, et suis un assez mauvais tonton, qui ne fréquente pas assez ses neveux… D’autre part, j’ai plutôt fréquenté les lycées que les collèges, et plutôt les terminales que les secondes, pour animer moult « ateliers de pratique artistique » (en bon langage administratif). Je ne connais donc pas très bien ce drôle de loustic de 14-15 ans qu’on appelle dans notre société, avec un frisson inquiet, un « adolescent ». J’ai donc demandé au Théâtre de Sartrouville de pouvoir faire au moins dix jours de répétitions dans un collège des Yvelines, afin de pouvoir tâter un peu de la bête, et vérifier qu’on ne lui parlait pas trop chinois en lui jouant du Granouillet. Les dix jours de résidence se sont vite transformés en un mois, par la grâce du formidable principal du Collège Guy de Maupassant, à Houilles, Monsieur Séverac, un de ces responsables d’établissement (car il y en a !) qui, en toute responsabilité, dit « oui » à toute initiative qui peut être un plus pour ses élèves, et qui a vite compris que l’art à l’école pouvait être une véritable bouée de secours pour certains.


Cette résidence de création au sein même du collège, dans la salle de classe qui nous était entièrement mise à disposition pour y répéter quatre semaines durant, sept heures par jour, cinq jours par semaine, était une belle occasion de vraiment rencontrer en amont nos futurs spectateurs. Après plusieurs réunions d’information et de discussion avec les enseignants (un peu inquiets, il est vrai, de l’intrusion de ces artistes dans leur antre), deux d’entre eux répondirent à l’appel, prêtes (il s’agit de dames) à suivre avec une de leurs classes notre processus de création, depuis les répétitions (même si nous avions déjà passé quinze jours à La Comédie de Saint-Etienne à éplucher le texte de fond en comble) jusqu’à la première publique. Virginie Aubin et Marie-Laure Barbaud (pour ne pas les nommer) s’attelèrent à la tâche avec un bel enthousiasme, lisant et analysant le texte de leur côté, avec nous, puis le transmettant en cours à leurs élèves. Mais surtout, elles ont emmené chaque semaine leur classe dans « notre » salle assister à une heure de répétition (toujours suivie à chaud d’une discussion), tandis que mon assistant, Yann de Graval, et moi-même animions avec eux un atelier hebdomadaire, à partir de jeux théâtraux et d’extraits de la pièce, travaillés en choeur.


Classe de résidence


Nos chères têtes blondes, qui traînaient ostensiblement des pieds la première semaine en venant nous rejoindre, ne juraient plus que par le théâtre et par Linda au terme de ce mois trop bref, haut en moments forts, pleins d’humanité, de regards qui soudain s’illuminent, de têtes qui se redressent, de personnalités qui s’affirment - avec des déceptions aussi, soyons honnête, et des rendez-vous manqués, faute de culot, de temps surtout. Un mois, ce n’est que quatre semaines, huit rendez-vous. Je désespérais d’ailleurs, à l’issue de la dernière séance, d’avoir pu leur apporter un tant soit peu des sensations concrètes qui sont les rudiments du jeu théâtral (l’écoute, le regard, l’être-là,…), mais les deux professeures nous ont vite rassurés : outre le changement de posture radical vis-à-vis du théâtre en général (tous les a priori étant rapidement tombés en nous voyant travailler), le climat dans les classes avait semble-t-il complètement changé, le rapport prof/élèves et même entre élèves s’était nettement posé et adouci (les ados se permettent si peu la douceur…), et il y avait pour certains jeunes une vraie transformation comportementale : celui-ci qui osait enfin parler en classe ; celle-là qui pouvait enfin s’exprimer sans insulter du même coup le monde entier, etc. Et pourtant notre résidence avait été bien peu de chose à organiser, depuis que le principal avait donné son aval, elle n’avait rien coûté à personne, si ce n’est une mise à disposition d’une salle, l’enthousiasme et la persévérance d’enseignantes convaincues de leur mission (il y en a !), l’énergie et la disponibilité d’une comédienne et de ses acolytes de travail, pour qui cette résidence en plein collège, à l’heure de la « crise de l’Ecole », apportait une dimension supplémentaire, « citoyenne » dira-t-on (si le mot n’était si galvaudé) aux enjeux de la création de Zoom.


Cette résidence a marqué profondément la mise au monde du spectacle. Parce qu’il fallut à Linda apprendre à parler à 50 cm à ces jeunes qui n’ont encore ingéré aucune règle de politesse, pour qui un regard posé sur eux peut être une menace ou une obscénité. Parce qu’il ne fallait pas lâcher une seconde leur attention, tout en leur laissant la place de rêver entre les mots. Parce qu’il fallait jouer « droit », sans tricherie possible (ils sont impitoyables !), sans mesquinerie ou autre coquetterie d’artiste. Seule la franchise leur parle, ce qui n’empêche pas toutes les subtilités du langage et ses détours…


ZOOM, tout public


Gilles Granouillet a vu juste. En refusant d’écrire spécialement pour un public ciblé (en l’occurrence, celui des « ados »), en mettant haut la barre, ils se sont sentis respectés. En écrivant sur des questions qui leur sont sensibles, ils se sont sentis touchés : combien de fois avons-nous surpris des larmes vite essuyées, durant le spectacle ? Combien de fois, à l’issue de la représentation, des jeunes ont-ils confié s’être reconnus dans cette histoire de vie ratée, de combat titanesque pour se sortir de la galère, de rêve de réussite sociale, de relation parent/enfant si difficile malgré tout l’amour du monde, de silence impénétrable malgré le désir de parole de part et d’autre, etc. ?


Zoom a été joué plus d’une cinquantaine de fois, de part en part des Yvelines, essentiellement en collège, mais aussi en lycée, mais aussi devant des adultes. Et c’est chaque fois un autre regard, une autre écoute, tant le texte de Gilles, l’air de rien, croise différents niveaux de lecture, joue avec les sens, les connivences. Et plus le spectateur est grand, plus il a « l’expérience de la vie », comme on dit, plus il en perçoit les nuances et l’humour ravageur, intrinsèquement lié à l’énergie du désespoir de cette jeune fille-mère « Courage ». Car le talent de Gilles est aussi de savoir raconter le pire en éclatant de rire, d’oser émouvoir avec toute la pudeur et la discrétion requises, sans tralala ni gros sabots.


Granouillet, écrivain public


Grand lecteur de théâtre (il anime notamment, avec une belle générosité, le comité de lecture de La Comédie de Saint-Etienne), Granouillet cherche, en toute modestie mais avec fierté, un théâtre qui soit nourri des avancées les plus aventureuses des écritures contemporaines, et qui ne soit pourtant pas intimidant pour le quidam qui a osé s’égarer pour la première fois dans une salle obscure. La réussite fondamentale de son travail est de parvenir à inventer de nouvelles formes, à questionner l’écriture, tout en sachant raconter des histoires. Car il aime les histoires, il aime les raconter, même si cela ne fait pas « moderne », et continue à croire suffisamment au théâtre pour les lui confier (ce qui n’est surtout pas synonyme de naïveté !).


Fils d’ouvriers stéphanois, grandi sous l’ombre généreuse quoique tutélaire de Jean Dasté, il prétend encore croire à un théâtre populaire, qui sache parler à tout le monde des choses les plus subtiles, les plus secrètes. Est-ce aussi un hasard si ses personnages sont souvent de conditions très modestes, ce qui ne les empêchent pas d’être d’une dignité exemplaire ? Eux qu’on relègue le plus souvent parmi les figurants du monde (dont la partie se joue forcément sans eux), eux à qui on ne donne jamais la parole, deviennent soudain, par la grâce d’un événement, d’une crise, le temps d’une prise de conscience, les acteurs de leur propre vie…
Qu’on ne s’y méprenne : les lendemains ne chantent guère non plus, chez Granouillet, et ses héros d’un jour, d’une vie sont plus dérisoires qu’édifiants. Mais au moins Gilles veut-il croire qu’au théâtre le malheur n’est pas une fatalité (surtout quand il s’agit du sien propre), et que tant qu’il y a de la vie, il y a des devenirs possibles, qui n’attendent qu’à être expérimentés… Le théâtre est là pour ça.


ZOOM à l’Aquarium


Heureux de cette aventure, fort des retours tellement chaleureux de tous les publics rencontrés, j’ai tout de suite imaginé, une fois nommé au Théâtre de l’Aquarium, programmer ce spectacle en ouverture de saison. Parce qu’il affirme à sa façon mon goût invétéré pour le « théâtre à texte » et pour les paroles fortes (qu’elles soient d’hier ou d’aujourd’hui), transmises le plus franchement possible aux spectateurs rassemblés ici, dans la salle obscure, par des interprètes aussi engagés qu’au service du poète et du sens. Parce qu’il dit, en toute simplicité, mon souci d’un théâtre ouvert à tous, où chacun peut y trouver son bien, quelque soit son histoire propre, ses attentes, ses appréhensions aussi. Il est évidemment beaucoup plus difficile et délicat d’imaginer un théâtre qui s’adresse à chacun, qu’un théâtre qui ne s’adresse qu’à quelques-uns, entre connaissances. Et cela, sans jamais rogner sur l’exigence, la rigueur, et la complexité des choses, ce qui serait bien irrespectueux vis-à-vis de son public !… Inutile de dire aussi que le clin d’oeil à l’un des spectacles phares du collectif fondateur de l’Aquarium, Un conseil de classe très ordinaire, n’est pas non plus pour me déplaire, en guise d’hommage à mes illustres prédécesseurs…


Soit donc une salle de classe reconstituée dans l’Aquarium, avec son bureau, son tableau noir, et de vraies tables d’école (graffiti et chewing-gums collés sous les chaises 100 % authentiques !), où pourront s’asseoir une cinquantaine de spectateurs comme autant de parents d’élèves, auxquels s’adresse inopinément « la mère du Burt ». Si les dieux du théâtre nous sourient, nous proposerons aux cinquantaines de spectateurs suivantes de regarder le spectacle plus classiquement, depuis le gradin et ses sièges de velours rouge. C’est là, dans cette classe improvisée, que Linda/Mère du Burt s’adressera aux spectateurs les yeux dans les yeux, reconstruisant devant eux, avec les mots et les moyens du bord, toute sa vie et celle de son fils, passant sans coup férir du rire à la colère, du drame à la blague de gosse, au fil du torrent d’émotion et de poésie rêvé par Granouillet.

François Rancillac

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