theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Ylajali »

Ylajali

mise en scène Gabriel Dufay

: Note d’intention

Texte contemporain inédit et véritable objet poétique, fruit d’une rencontre entre les deux grands écrivains norvégiens Jon Fosse et Knut Hamsun, Ylajali est une oeuvre forte et originale.
Faim, roman très populaire et emblématique de Knut Hamsun, date de 1890 et a marqué des générations entières. Il s’intéresse aux déboires d’un jeune homme, en colère contre la misère et l’environnement urbain, luttant dans les rues de Christiania contre la faim et les troubles intellectuels qui en résultent.


Le fait que Jon Fosse adapte cette oeuvre n’est pas étonnant, quand on connaît son empathie pour les petites gens, la pauvreté et la révolte.
La variation qu’il nous propose respecte dans les grandes lignes l’intrigue du roman de Hamsun, mais on y retrouve aussi le style de Fosse, ses obsessions : les figures qui nous sont présentées campent plusieurs personnages, les espaces-temps se superposent. La narration est bouleversée par les interventions du Vieil Homme et de la Femme, avatars et projections possibles du personnage principal.
Fosse extrait, pour ainsi dire, le noyau du roman pour en faire une pièce exceptionnellement dense, une odyssée intérieure dans laquelle les ombres de Beckett, Bernhard, Kafka ou Dostoïevski (on pense notamment aux Carnets du sous-sol ou aux Nuits blanches) sont convoquées. Il efface tout ce qui pourrait s’apparenter à un ancrage historique et ramène Faim à son essence même, dans un dépouillement extrême.


Grande oeuvre tragique et métaphysique, doucement violente, pourrait-on dire, Ylajali est pour moi une « prière criminelle », comme dirait Jon Fosse, dans sa définition de l’écriture.
Dans son refus de participer à une existence normalisée, son refus de manger quand il le pourrait, son refus de l’argent qui lui est donné, le Jeune Homme se mue en Don Quichotte de la misère et questionne l’injustice. Sa conscience ravagée a faim, faim de nourriture mais aussi faim d’absolu, faim d’un ailleurs, d’un monde meilleur, d’une autre société, plus juste et plus belle.
Ce texte constitue une tribune en faveur de ceux à côté desquels il nous arrive de passer en fermant les yeux, en faisant semblant de ne pas les voir, en ne leur accordant aucune existence, ceux que le sociologue Patrick Declerck appelle les « naufragés », ces errants de la rue qui cherchent entre vie et mort à sortir de l’impasse dans laquelle ils sont tombés.


Mais cette pièce est aussi un poème d’une « inquiétante étrangeté », pour reprendre le mot de Freud, au coeur même de la déréliction. Derrière la pièce visible se dessine une autre pièce, bien plus mystérieuse, écrite à l’encre blanche, invisible, et dont la trame se déplie comme un secret, si on y prête attention.
Il y a quelque chose que le Jeune Homme ne parvient pas à exprimer, ce quelque chose qui est entre les lignes; il est le lieu d’une inquiétude, d’une interrogation, d’une angoisse, d’un manque profond, un manque à être originel que nous pouvons tous éprouver devant le mystère de notre origine et de notre fin.


Ylajali, c’est une enquête sur une disparition, la disparition de soi à soi.
La notion de perte, d’abandon, m’obsède depuis toujours, me travaille au corps. C’est logiquement que je me suis tourné vers cette pièce évoquant des naufragés coincés dans une sorte d’interzone, une antichambre entre la vie et la mort, entre l’intérieur et l’extérieur, les mots et le silence, le froid et la faim, qui meurent de disparaître au regard des autres et à leur propre regard.
Le Vieil Homme et la Femme sont peut-être, quant à eux, des passagers, des témoins de la disparition, à moins qu’ils ne soient tout bonnement des agents de la disparition ou des disparus eux-mêmes, Ylajali étant le nom de ce qui n’a pas de nom.

Gabriel Dufay

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.