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Yaacobi et Leidental

mise en scène Lorent Wanson

: Le point de vue du metteur en scène

L'humour tragique et dévastateur de Hanokh Levin est sans merci. La vie aussi. C'est ça qui est fort drôle, dérisoire, important, pathétique et métaphysique à la fois. Car rien n'est jamais si drôle que quand il en écume quelque chose de profondément douloureux. Et l'état de désespérance le plus poussé est aussi, pour celui qui le regarde, un exotisme infiniment drôle. Un exotisme qui n'est que notre manière d'enfiler nos propres loques.


La pièce c’est ça. Une multitude de petits riens qui, enfilés les uns aux autres, tapissent un tableau de la vie à la fois saisissant et implacable. Notre bêtise est à la mesure de notre génie, notre bravoure à la mesure de nos lâchetés, notre égoïsme à la mesure de notre irraisonnable besoin du regard des autres. Le Désintéressement est dévasté par des faux-fuyants ridicules. Mais sans doute, pauvres humains que nous sommes, ne sommesnous pas à la hauteur de cette ineptie... On écrabouille l'ami car le miroir est bien trop précis, on se rafistole avec de la colle vendue en promotion par paquet de dix. En somme on veut réussir sa vie. On n’a plus le temps de la perdre. On fait le grand nettoyage. On passe aux grandes eaux les modèles congelés qui nous conditionnent. Nos atouts? Bien les mettre en avant, en arrière, se foutre un Wonderbra sur les deux hémisphères de la caboche, et se promener ainsi un peu ridicule, mais tellement soi-même, enfin. On devient des poncifs sur pattes s’en allant le pas hésitant mais la mine altière sur le fil distendu de la destinée.


Mais derrière cette fresque brute de nos petites survies mesquines se trouve en écho tout ce qui fait de nous des chics types, des débrouillards, des belles aspirations vers les cimes, même si les bottes sont profondément enfoncées dans la gadoue du réel.


Métaphysique de clown donc où les maladresses deviennent des oeuvres d'art. Les deux trios qui composent notre spectacle - les musiciens et nos trois clowns tristes - vont s'abandonner aux deux choses contradictoires de la vie. D’un côté, la soif d'être libre (c'est-à-dire seul) avec le besoin de se donner les moyens d'essayer ce qu'on n’a jamais osé parce qu'il semble que ce soit la dernière occasion. De l’autre côté, la nécessité d'un tronc commun, d'un vivre ensemble, d'une harmonie parfois aussi simple qu'une chope partagée sur le même coin de zinc mais si difficile à atteindre qu'elle exige de rogner sur la soif de liberté.


Dans ce foutu foutoir inepte qu'est la vie - ce calice perpétuellement à moitié vide -, la soif est parfois plus grande que ce que notre bide pourrait ingurgiter. Et sitôt qu'on y a goûté, nos envies les plus profondes et sincères s'avèrent littéralement écoeurantes. Donc tout y passe! L'amitié, le désir, l'amour, l'ambition, la solidarité, la libido. On veut tellement être libre mais on a tellement peur d'être seul... Un peu d'humiliation et de calcul ne font pas de mal même si on s'y blesse. Et puisqu'on est toujours au moins deux frustrations en retard, on reste avec pas grand-chose : le souvenir d'une tape dans le dos, d'une caresse ou d'une gifle qu'on n'a pas osé donner alors que le con ou la belle ou le pote en face les méritait furieusement. On reste les mains sales, moites, les mots fossilisés dans la salive avec les insultes, les mensonges, les tripotages qui nous ont dépassés. Quoi qu'on fasse, on aurait dû faire autrement ! A la prochaine occasion, c’est sûr, on sera à la hauteur… la nôtre.


Les mélodies - des polyphonies souvent - je les ai composées un peu comme ça. Sur des rythmes populaires et connus, des tangos, des valses, des bossas. Les voix se tressent des chemins majeurs et mineurs, des envolées et du terre à terre, du prolo et du liturgique. Le quotidien le plus banal étant aussi un rituel, une culture, il a droit à son sacré. S'arracher de cette habitude, c'est donc aussi rompre avec sa culture et son identité, c'est vouloir se mouler à une histoire qui n'est pas la sienne.


Dans Yaacobi et Leidental, on chantera et on dansera beaucoup. On espère que toutes ces choses terriblement humaines résonneront dans le spectacle et qu'entre deux éclats de rire, il y aura une perle de sueur glacée qui vous coulera dans le dos et une larme brûlante qui vous surprendra au coin de l'oeil.

Lorent Wanson

05 janvier 2009

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