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Violet

+ d'infos sur le texte de Jon Fosse traduit par Terje Sinding
mise en scène Bérangère Vantusso

: Entretien avec Bérangère Vantusso

Propos recueillis par Cécile Brochard

Artiste invitée du TNT cette saison avec la compagnie trois‐six‐trente, Bérangère Vantusso y a présenté précédemment Les Aveugles, une oeuvre de Maeterlinck jouée par des vieillards‐marionnettes hyperréalistes plus petits que la taille humaine. Sa nouvelle création en janvier prochain de Violet, un texte de Jon Fosse sur l’adolescence, met en scène de très grandes marionnettes, mais toujours saisissantes de réalité. Rencontre.

Comment s’est forgée votre intuition d’allier la marionnette et les écritures contemporaines?


J’ai d’abord été formée au théâtre d’acteurs, mais suite à ma rencontre avec le marionnettiste François Lazaro j’ai eu envie de créer des spectacles utilisant la marionnette. Après trois premières créations où l’on avait recours à des marionnettes de forme plus traditionnelle, l’hyperréalisme est venu d’une double circonstance (comme souvent dans la vie) : d’une part la rencontre en 2006 avec un premier texte de Jon Fosse sur Kant m’a donné une affinité forte avec cette langue, très ambivalente, très syncopée, où la question du réel est centrale ; et d’autre part, la découverte des sculptures de Ron Mueck. Cela a engendré une nouvelle collaboration avec Marguerite Bordat (déjà scénographe de la compagnie) qui sculpte et peint les têtes qui « ont l’air vraies » de mes spectacles. La piste de l’hyperréalisme a ouvert un champ de possibles insoupçonné. J’ai découvert qu’elle était porteuse de formes nouvelles, non exploitées, d’un potentiel énorme restant à découvrir.


Quel trouble de la perception du réel votre travail met‐il en jeu ?


Le fait d’utiliser des marionnettes hyperréalistes non seulement dans leurs visages, dans leurs expressions mais aussi dans leurs postures donne une « illusion réelle » de vie. Nous travaillons énormément à leur construction, à leur gestuelle, à leur manipulation en groupe et cela nous conduit peu à peu à élaborer un lexique de jeu très dense qui se nourrit de l’interaction entre les humains et les marionnettes : mon travail de recherche se noue autour de ce qui s’incarne des uns chez les autres, les acteurs‐manipulateurs « portant » les marionnettes dans tous les sens du terme, pas seulement physiquement mais dans leurs émotions, dans ce qu’elles ont envie de dire… Au fond, on ne sait même pas si ce sont des marionnettes… Ce trouble trouve un écho particulièrement fort dans l’écriture de Jon Fosse qui s’y prête vraiment, de par son questionnement permanent sur ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, autant que par sa forme au langage extrêmement stratifié. On ne peut pas jouer cette langue de manière naturaliste. Pour la donner à entendre, il faut absolument y déplacer le corps et la marionnette facilite cette transposition.


Quel est le projet à la base de « Violet » ?


C’est d’abord le désir que j’aie de parler de l’adolescence, un moment de la vie dont on garde tous un souvenir fort, celui d’une période de créativité, de rivalité, d’amour dans la cour du collège. L’idée étant de parler aujourd’hui d’une période intemporelle et de porter un regard générationnel empreint de tendresse sur ces personnages. Et puis tous mes spectacles sont traversés en fil rouge par cette question de l’être dans le changement et de la transformation de la forme : dans chacun, il est question d’un moment de passage : dans Kant c’était l’enfance, la prise de conscience du monde ; dans Les Aveugles, la mort, le bascul vers l’au‐delà ; ici il s’agit de la charnière entre l’enfance et l’âge adulte. Cela induit une cohérence implicite à mes choix de textes, qui permet à mon théâtre de se frayer un chemin dans les écritures. Au final, Violet vient boucler un cycle, formé par Kant, Les Aveugles et L’herbe folle d’Eddy Pallaro en 2009.


Comment mettez‐vous en scène l’Adolescence ?


Le texte évoque des gamins, très jeunes, quinze ou seize ans à peine, qui se réunissent pour faire de la musique dans un local. Il y a là quatre garçons et une fille. A l’occasion de ces répétitions, ils expérimentent non seulement leurs nouveaux instruments, mais les prémices de sentiments, d’enjeux, de rivalités, de luttes de pouvoir qui vont faire monter la tension. Le personnage central vient de vivre un deuil qui le fait basculer dans l’âge adulte avant les autres, et cette transformation ressurgit sur toutes les relations du groupe. La violence est déjà présente dans l’écriture de Fosse, il ne faut donc pas la contourner, elle sous‐tend le suspense, la peur. Mais elle ne doit pas je crois être trop appuyée, trop noircie. Le titre d’origine en norvégien – Lilla – est porteur d’un double sens, il évoque la couleur bien entendu mais il signifie aussi « petit ». Violet est une pièce sur l’émancipation, sur la capacité à faire des choix, le grand enjeu de l’adolescence. Devenir soi, dans l’ambivalence de ses affirmations personnelles et des limites posées par le regard des autres. L’écriture de Fosse illustre ce mouvement de balancier où tout ce qui est affirmé est immédiatement contredit.


Partant de là, la mise en scène des marionnettes, qui sont volontairement plus grandes que les humains, d’environ deux mètres de haut, est un travail de narration et de mise en mouvement chorégraphié ; d’autant que la musique tient un rôle central dans Violet : elle est à la fois le thème, qui mobilise ces jeunes dans leur local et les fait rêver ensemble, mais aussi le vecteur d’un véritable échange d’énergies entre le texte et le spectateur. Le groupe Cheresse qui explore une musique rock très sonore tout en revendiquant des influences classiques et Arnaud Paquotte qui fait partie de la compagnie depuis ses débuts, ont créé un morceau symphonique à tiroirs, une bande son comme un play‐back sur lequel les personnages parlent ou sur lequel s’écoute leur petite musique intérieure. L’écriture de Fosse contient un dialogue sous‐jacent qui dit plus que les mots : je voudrais faire en sorte que le spectateur entende ce dialogue.

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