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Vents contraires

mise en scène Jean-René Lemoine

: Note d'intention

Six personnages en quête d’amour


Vents contraires décrit la ronde de six personnages - cinq femmes et un homme - qui s’anéantissent dans leur quête compulsive d’amour, de liberté et de sens.


L’écriture se déploie en une succession de plans-séquences, instaurant un rapport complexe au temps (l’histoire s’étire sur plusieurs semaines), les ellipses créant un hors champ dramaturgique qui apporte à chaque tableau une tension particulière. Les six personnages sont saisis au moment où les illusions s’effondrent, et les ruptures dévastatrices qui se succèdent au fil de la pièce les placent face aux béances de l’existence.


Ce qui est mis en lumière ici, ce n’est donc pas tant le portrait d’un microcosme aisé, emporté par les soubresauts du désir. Ce qui est mis en lumière, c’est comment ces êtres, figures emblématiques de notre temps, ont été aveuglés par les apparences et conditionnés à ne penser qu’à leur propre univers, à leur ego - l’obsession de l’argent étant le marqueur de leur individualisme.


Ils deviennent - au travers de leur aliénation - le miroir aveuglant du monde marchand qui les a façonnés, et dont - complices volontaires ou involontaires - ils reproduisent implacablement la mécanique de manipulation, de réification, de déshumanisation, de fétichisation des êtres, dans leurs mortifères allers-retours amoureux.


D’autres mondes s’exposent durement à leurs regards, mondes d’exclusion, de souffrance, de radicalisation, de guerre, comme le parfait négatif du leur - paysages obsédants de désolation, appréhendés à travers la vitre sans tain du confort et de la satiété.


La contemplation de ces mondes en ruines - lointains mais terriblement proches - provoquera des réactions contrastées dans le groupe. Les uns, conscients de leur lâcheté et de leur impuissance, irradiés par la sauvagerie du présent, se précipiteront dans l’exil ou dans la folie. Les autres chercheront un éphémère et stupéfiant oubli dans le vortex de la réussite, de l’argent et du sexe.


Les protagonistes de cette ronde furieuse prennent pour hymne la chanson Désenchantée de Mylène Farmer, qu’ils entonnent à plusieurs reprises comme un mantra mélancolique. Ils n’aspirent plus à aller « à Moscou » comme les trois soeurs de la pièce éponyme de Tchekhov, mais au contraire, cherchent désespérément à s’évader de Paris ou d’eux-mêmes.


Mais qu’ils s’engouffrent dans l’abîme ou dans la réussite sociale, le prix à payer est immense. Et le mariage qui clôt dérisoirement la pièce, sous un fracassant déluge de riz, tient plus de la cérémonie funèbre que du happy end des comédies. La pièce avance pourtant comme un vaudeville, utilisant inexorablement les ressorts du comique. Mais (comme chez Marivaux) le frivole révèle ici le politique, et le politique dynamite le frivole.


Derrière le masque brûlant de la séduction, derrière la drôlerie des quiproquos et des méprises, derrière le pathétique des ménages à trois et le grotesque des stéréotypes, il y a la perte de repères, le vertige d’une société dans sa douloureuse déliquescence.


C’est donc à une comédie de la cruauté que nous sommes conviés, un Grand-Guignol tragique qui pousse les personnages à leur incandescence, mais sans jamais poser de jugement sur la démesure ou la monstruosité de leurs actes. Car c’est une humanité souffrante, entravée, bouleversante de fragilité qui se débat sous nos yeux.


Des héroïnes, des actrices, contemporaines


Les femmes sont sans conteste les protagonistes dans Vents contraires. Ce sont elles qui font avancer l’action.


Soit elles s’aiment entre elles, soit elles placent l’homme dans la position de l’objet désiré, fantasmé, rejeté.


Le répertoire contemporain ne leur offre pas si souvent des rôles moteurs. Ce champ encore inexploré m’a toujours paru un terrain passionnant d’écriture. En cela, la pièce est en quelque sorte aussi un hommage à Fassbinder et à ses Larmes amères de Petra von Kant.


Anne Alvaro, Océane Cairaty, Marie-Laure Crochant, Norah Krief et Nathalie Richard sont des actrices d’une grande force et d’une grande virtuosité, capables de passer magistralement d’un registre à un autre, de la simplicité à la démesure. Il y a dans le jeu de chacune, une densité, une musicalité particulière. Réunir leurs singularités dans une partition chorale me paraît en soi générateur d’émotions.

Jean-René Lemoine

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