Le projet prit corps autour de la Terre Vaine, épopée moderniste et condensée en 433 vers du poète anglo-américain TS Eliot. Le premier jour des répétitions, par un hasard indéfendable, la SACD nous apprit l'interdiction du poète, au travers de son testament, de "représenter" le poème. Restaient les rêves et les visions, les images surgies au cours de la lecture, la structure envisagée par le travail préparatoire. Restait à parcourir un théâtre potentiel, auquel les mots auraient manqué ; ou le chemin qui nous aurait mené jusqu'aux mots du poème ; restait à trouver ou retrouver l'essence ou le caillou premier, qui aurait été logé dans nos scènes bavardes, devenues privées de verbe par une voix d'outre-tombe. Et puis cette question : qu’est ce que ça peut-être, “représenter”? Qu’est ce que ça peut bien cacher de si grave pour qu’un poète interdise dans son testament sa représentation - pas sa publication ni sa lecture, mais sa représentation ? Après avoir exploré les sources du poème, la Tempête de Shakespeare, l'Enfer de Dante ou la Bible, et tenté montage semblable ; après avoir cherché à retrouver sa fragmentation et ses scansions dans d'autres textes, et en particulier les Carnets de ST Coleridge, et esquissé d'autres formes d'improvisation ou de textes (EE Cummings), un spectacle s'est dessiné à travers les improvisations, autant empreint de la Terre Vaine que de nous-mêmes. Temps flottant du théâtre précédant un spectacle qui pourra avoir lieu dans trente-cinq ans, superposition et variation autour de la structure et des thèmes de la Terre Vaine, mais aussi point de vue sur ceux-ci au travers des fils choisis (mémoire et désir comme mouvements contraires premiers) ; une proposition de théâtre s'est formulée, plus tard affermie par la lecture de Itinéraire de Hölderlin de Maurice Blanchot, qui recoupait nos attentes et préoccupations (il y décrit un Hölderlin découvrant le nécessaire retournement et l'apprentissage de la juste et terrible mesure, l'infidélité du poète à Dieu et aux hommes pour préserver l'un de l'autre et permettre la connaissance ; et c’était bien là ce que nous lisions au travers de la tentative poétique d’Eliot. Le chemin de Hölderlin devînt peu à peu le filigrane du spectacle.)