theatre-contemporain.net artcena.fr

Un coeur simple

mise en scène Xavier Lemaire

: Entretien avec Isabelle Andréani

Propos recueillis par Stéphanie Tesson, septembre 2018

Comment vous est venue l’idée d’adapter Un cœur simple ?


Quand j’ai lu cette nouvelle de Flaubert, j’ai pensé que si on ne l’incarnait pas, on n’aurait pas la chair du récit et l’intensité des émotions. Je ne m’attendais pas à ressentir et à partager un tel bouleversement avec le public. Flaubert est descendu dans les profondeurs de l’âme de cette femme ; il a touché son innocence, sa pureté. Félicité ne veut rien, elle n’est pas maîtresse de sa vie, les choses lui arrivent, et elle subit tout. Mais elle est la colonne vertébrale de tout le récit, et les autres présences tournent autour de son existence.


Comment avez-vous aboli l’écart d’âge - plus de vingt-cinq ans - qui vous sépare de Félicité ?


Félicité n’a pas d’âge... « À 25 ans, on m’en donnait déjà 40 ! » : elle déroule sa vie depuis son enfance jusqu’à sa fin avec un naturel qui s’impose. La mort arrive comme un épisode de son épopée intime. Moi je lui prête ma voix, mon corps durant tout ce parcours, je suis le récit, et l’âge n’a plus d’importance. C’est un personnage figé dans son destin que l’on a devant soi, et l’on ne cherche pas à savoir à quel moment de sa vie ce personnage commence à la raconter. Elle est là, elle nous parle d’elle, et meurt au bout de son histoire. C’est simple comme le cœur de Félicité.


Vous avez beaucoup changé le texte narratif de Flaubert pour créer votre partition théâtrale ?


La nouvelle est quasiment intégrale mais j’ai passé le texte à la première personne pour que l’histoire parte de la bouche de Félicité. C’est elle qui prend à son compte ce que Flaubert a écrit, je me suis rendue compte en faisant cet exercice que Flaubert était lui-même parti du personnage de Félicité pour écrire sa nouvelle, car tout passe au filtre de son regard. Cette transposition à la première personne est presque induite dans l’écriture. On ne sait plus si Félicité a écrit le texte, ou si Flaubert est Félicité !


Avez-vous des appuis scéniques pour étayer votre jeu ?


Xavier Lemaire et moi avons cherché au départ à me grimer, à m’entourer d’objets, mais les mots de Flaubert suffisent à camper tout un univers. L’épure s’est imposée : un décor très « simple », un plancher de différents niveaux en forme de croix. Pas besoin d’artifice : seuls accompagnements, la musique de Schubert et, bien sûr, Loulou, le perroquet fétiche de Félicité. Et très vite, on se rend compte qu’il ne faut pas jouer, mais être... En revanche j’ai lu la biographie de Flaubert par Bernard Fauconnier, qui m’a beaucoup aidée à comprendre Flaubert à travers Félicité.


Pensez-vous qu’il y a un archétype de Félicité, et que ce genre de personnage existe encore aujourd’hui ?


Je pense, oui. Dans les campagnes peut-être. Et là où il n’y a pas la télé. La télé détourne les gens d’eux-mêmes et de leur authenticité, en leur apportant un outil de comparaison. Félicité est la représentante de ces femmes qui se vouent aux autres corps et âmes, qui donnent leur vie pour que les autres accomplissent la leur. Flaubert a certainement voulu rendre hommage à sa servante, celle qui lui a fermé les yeux...


Un tel personnage est-il agréable à défendre ?


Ah oui ! Ça fait du bien d’être dans la bonté, dans l’innocence. C’est une sensation que j’ai pu déjà connaître avec le personnage de Marthe dans L’échange de Claudel. Ce sont des natures qui acceptent la vie comme elle est, et qui sont d’abord dans l’amour. Et bien sûr, chez Félicité il y a la dimension christique : sa foi l’emplit toute. C’est une bonté sans exaltation, une richesse d’âme, presque effacée. Elle s’épanouit quand elle découvre le catéchisme avec la petite Virginie, quand elle croit et comprend ce qu’elle croit. Et ça fait du bien aux spectateurs aussi je pense d’entendre ces mots chargés d’humanité et de spiritualité, de suivre la trajectoire de ce destin si simple. La simplicité, c’est le « maître-mot !


  • Propos recueillis par Stéphanie Tesson, septembre 2018
imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.