Et l'année suivante, une fois encore, l'année suivante, retourner au bord de la mer, traverser à nouveau la France en train, repartir en tournée, revoir l'hôtel Phénix à Lyon et l'autre, celui-là, d'Angleterre, à Neuchâtel (Suisse). Ne plus être nulle part, être partout, se promener. Répéter à Paris, rue de Charonne peut-être, construire le décor à Dijon, reprendre le spectacle à Strasbourg et passer par Toulouse, voir la Garonne la nuit après la dernière représentation, se souvenir d'Alès où nous étions déjà venus

et envoyer de partout des cartes postales imbéciles. Prendre des autocars dans la brume, et dans le froid, l'Arbalète en provenance de Zurich, se disputer pour être dans le camion, écouter la voix de Radio Nevers s'éteindre doucement sur l'autoroute, faire un petit détour par Semur, pas de théâtre mais bien joli tout de même, et finir un soir dans la tempête en Bretagne. Téléphoner à la maison toutes les nuits, visiter les chambres des autres - hurler de rire au dessus-de-lit acryliques des Modern Hôtels - s'endormir entre les travées de sièges à l'heure douce et chaude des réglages et boire trop de café à l'ouverture des portes. Trouver sa place en régie, surveiller les loges, attendre sans un mot dans la pénombre côté jardin, écouter une fois de plus le texte dans les retours et s'ignorer religieusement lorsqu'on se croise dans l'obscurité, se faire des clins d'oeil, avoir peur et aimer ça. Jouer, juste, rien d'autre, faire semblant ou vivre nos vies.

Jean-Luc Lagarce
(Du luxe et de l'impuissance et autres textes - Ed. Les Solitaires Intempestifs)