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Tête d'Or

+ d'infos sur le texte de Paul Claudel
mise en scène Jean-Claude Fall

: Note d'intention

Lorsque Claudel écrit Tête d’or, il a vingt ans.
Il est un très jeune garçon qui rêve de changer ce monde « pervers » dans lequel il est plongé.
Désir d’action, désir d’actions violentes, désir fou d’exercer cette force qu’il sent en lui.


Il vient d’avoir sa « révélation » le 24 décembre 1886 à Notre Dame et un combat se déroule à l’intérieur de lui-­même où quelque chose résiste à l’appel de « Dieu ».


Il est encore tout ébloui par ses lectures de Shakespeare et de Rimbaud et secoué par eux humainement et artistiquement.


Ce sont ces évidences qui apparaissent très vite à la lecture de la pièce.


Tête d’or est une figure héroïque et séduisante.
Tête d’or est un monstre, un terroriste, un assassin.


Tête d’or a la fougue, la force, la puissance de conviction.
Il a l’absolue certitude d’avoir raison contre le monde.
Tête d’or est un rebelle. C’est un révolutionnaire, il aurait pu être un membre d’action directe, de la bande à Baader ou des brigades rouges, aujourd’hui il ferait peut-­être partie de l’un de ces groupes du Djihad islamique.
Les jeunes gens le suivent comme on suit un guide, un chef de guerre.
Et les moins jeunes, ceux qui avaient renoncé, ceux qui acceptaient leur défaite, ceux qui étaient rentrés dans le rang et acceptaient que les choses soient comme elles sont, ceux-­là se remettent à vibrer et à croire qu’ils peuvent changer le monde.


Mais toujours ce genre de médaille a un revers.
Revers lisible entre les lignes qui précèdent.


Les valeurs de Tête d’or sont violentes, despotiques. Il prône une « morale » de la foi aveugle, de l’obéissance au chef, de la force qui oblige et soumet. Il fustige les faibles, les hésitants, les changeants, les incertains. Il adore la mort, sa compagne. Il renvoie les femmes à leurs foyers, un silence servile et la maternité. Il porte en haine la culture, le savoir et voue un véritable culte païen à la nature.
Si ces valeurs vous rappellent quelque chose, c’est à juste titre et Claudel le sait si bien que lorsque l’occupant allemand souhaite que la Comédie Française joue « Tête d’or », Claudel refuse les droits de représentation.
Il sait trop bien le danger que représenterait pour lui et sa pièce une lecture extrême droitière que pourtant chacun peut faire.
Claudel se défend mollement de cette si évidente proximité avec l’idéologie fasciste.
Il défend l’aspect rimbaldien du héros et l’aspect Shakespearien du drame. Ce en quoi il a parfaitement raison. Rimbaud n’est-­il pas lui-­même ce poète-­héros qui écrit les Illuminations et cet aventurier qui fait commerce de contrebande d’armes au fin fond de l’Erythrée.
Et combien de drames shakespeariens contiennent des valeurs aujourd’hui condamnées. Combien nous dépeignent avec une forte puissance de séduction des héros épouvantables et monstrueux. Je pense à Richard III en particulier.


Le despotisme « éclairé » n’est-il pas, hélas, le système où l’humanité se reconnaît le mieux ? Le diable, le tyran, la mort n’ont-­ils pas toujours été de sacrés séducteurs ?


Enfin Tête d’or est un désespéré, mieux, un « desperado ». Il a perdu son être aimé, sa famille, sa maison, son pays, son ami. Il est sans foi ni loi. C’est un « déjà mort ».
La peur de la mort ne peut pas avoir de prise sur lui.
En cela c’est un homme libre (au sens des stoïciens).
En cela c’est un kamikaze, un terroriste, prêt à mourir pour sa cause.
En cela, il n’y a pas d’autre choix que de l’aimer ou de le tuer.
La princesse fera les deux.


Aujourd’hui ces « héros-­antihéros » nous pouvons les retrouver dans les groupes djihadistes, chez Al Qaïda, dans les rangs des guérilleros du « sentier lumineux » et autres rebelles sans frontières.
Héros pour les uns et monstres pour les autres.
Tous exècrent le monde tel qu’il est, tous veulent établir leur « juste » loi.
Une loi donnant toute sa place à « la vérité » et à « la nature ».


Souvent me revient en mémoire cette histoire que raconte Emett Grogan dans son livre « Ringolevio » :à l’invitation de groupes d’activistes anglais, il avait fait (c’était dans les années soixante dix) un discours enflammé sur le thème de l’homme nouveau et du monde nouveau à construire.
Un monde et un homme plus vrais, plus justes, plus forts etc.
Il arrête les applaudissements chaleureux de la foule des participants à ce rassemblement et avoue qu’il n’a pas écrit ce discours et qu’il n’est pas le premier à l’avoir prononcé, que ce discours avait été prononcé par Adolf Hitler au Reichstag en 1936. Par la suite il avait bien entendu été obligé de prendre ses jambes à son cou.

Jean-­Claude Fall

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