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Tenderness

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mise en scène Antoine Lemaire

: Trois pensées en mouvement

Entretien avec Antoine Lemaire

Yannic Mancel : Cette variation sur le roman de David Herbert Lawrence s’inscrit dans un cycle de plusieurs spectacles intitulé Confessions intimes où se trouvent très présentes au centre les questions du couple et du vivre ensemble. Quelle place occupe précisément Tenderness dans cet ensemble ?


Antoine Lemaire : Depuis sa naissance en 1997, la compa­gnie Thec que j’ai fondée avec Franck Renaud choisissait des auteurs classiques qui tous traitaient ou avaient traité de ce que nous appelions les «bruits du monde» – la guerre, les violences sociales... Ainsi avions-nous choisi Shakespeare, Berkoff, Copi, Sarah Kane, auxquels nous appliquions une recherche formelle pour dire la crudité et la brutalité des rapports individuels. Parvenus au terme de ce cycle dont la fin, étrangement, coïncidait avec la très polémique édition 2005 du Festival d’Avignon présidée par Jan Fabre, nous avons ressenti le besoin de revenir à la page blanche, aux questions essentielles du quoi, du pourquoi, du pour qui et avec qui. En réponse à toutes ces questions, s’est imposée la nécessité d’un retour à des formes réduites, voire minimales impliquant l’intime, la confidence, la proximité, des formes à travers lesquelles, avec ou sans le recours aux auteurs, nous reprendrions la parole dans une adresse directe au public, pour aborder sous un angle plus philosophique des thèmes liés à l’intimité. L’idée du cycle est partie de L’Instant T, une pièce à deux voix qui traite de la crise d’un couple de quadragénaires saisie sous toutes ses facettes: l’usure, l’angoisse du vieillissement, la difficulté de la relation homme / femme, la sexualité, la peur de la solitude... L’exploration de tous ces thèmes m’ayant donné l’envie de relire quelques grands romans, parmi lesquels Madame Bovary et L’Amant de Lady Chatterley, des variations sur ces œuvres de référence et ces grands personnages devenus mythiques se sont tout naturellement intégrées au cycle.


Y. M.: Quand vous étiez venu nous présenter le tout premier projet de Tenderness sous la forme d’un Théâtre d’une heure, vous nous aviez confié avoir eu l’idée de cette variation théâtrale en réaction au film de Pascale Ferran. Quelle était donc la teneur de cette réaction ?


A. L.: Ce qui m’avait à l’époque frustré et irrité dans le film de Pascale Ferran, c’est que je n’y voyais qu’une simple mise en images, une sorte d’illustration descriptive de la fable, tandis que le discours philosophique très moderne de D. H. Lawrence sur le couple, la sexualité, la virilité, le plaisir au féminin me semblait quant à lui totalement escamoté. Mon projet d’écriture théâtrale, au contraire, souhaitait réhabiliter toute cette part de réflexion que le film n’avait pas traitée. Alors que le film montre, la pièce, elle, prend en charge le discours et le commentaire.


Y. M.: Est-ce dans ce même souci de l’intime et de la priorité accordée à la parole, que vous avez réduit la fable à ses trois principaux personnages ?


A. L.: Mon souci était surtout de gommer toute référence au contexte historique et social de ce livre écrit autour de 1920. Je souhaitais traiter le triangle amoureux dans sa dimension exemplaire, archétypale. Il me fallait pour cela accéder à l’épure, à l’essentiel, en évacuant tout ce qui dans la fable romanesque relève de la péripétie et du romanesque. J’ai voulu écrire trois variations qui soient aussi trois pensées en mouvement, trois paroles performatives dont les mots sont l’action dramatique. J’ai voulu soustraire de la représentation toute allusion à une époque: aucun ancrage historique, aucune actualisation. Les costumes, historiquement neutres, ne donneront aucune indication de date ni de mode.
Le spectateur est invité à entrer dans la pensée, dans l’imaginaire des personnages.


Y. M.: Vous vous êtes distribué vous-même dans le rôle du mari. Selon quels critères avez-vous choisi vos partenaires ?


A. L.: Les choix se sont faits en fonction du style que j’avais moi-même adopté pour l’écriture des personnages. J’ai opté pour la forme de monologues juxtaposés d’où n’émergent que deux scènes dialoguées. Je me suis donc mis à la place de chacun des trois personnages et j’ai essayé d’exprimer leurs sensations et leurs pensées à partir des situations dans lesquelles le roman les plonge et les décrit. Je l’ai fait avec mes mots à moi en toute simplicité, sans coquetterie, sans afféterie. Les personnages sont ainsi tous les trois parlés à travers moi, à travers ma langue et mes mots. Le principe est celui d’une conférence improvisée au cours de laquelle les personnages s’exprimeraient très maladroitement, tout en ruptures et en syncopes, avec des hésitations, des corrections, des incises, des retours en arrière, des digressions, des répétitions... Tout cela implique un jeu particulier qui personnellement m’évoque le jeu physique de Jacques Tati dans le personnage de Monsieur Hulot: pour aller d’un point à un autre, il va se tromper de route, renverser un objet, revenir en arrière. Il me fallait donc un comédien qui assume cette mala­dresse du discours à la fois comique et touchante, et c’est Christophe Piret, à la fois perdu et décalé, ainsi qu’une comédienne qui amène autre chose, la musicalité du discours et sa dimension poétique, et c’est Florence Bisiaux, toute en mélancolie et en obsession répétitive... Une écriture homogène, commune aux trois personnages, se diffracte ainsi en trois tonalités singulières, fondées chacune sur la personnalité et les codes de jeu du comédien.


Y. M.: Savez-vous comment vous souhaitez faire évoluer le travail par rapport à l’esquisse que vous aviez présentée en avril 2008 dans le cadre d’un Théâtre d’une heure ?


A. L.: De tous les spectacles du cycle, Tenderness est probablement le plus minimaliste et le plus radical dans la recherche de l’épure. C’est ce que nous avions testé, avec succès, dans la simple mise en voix, et c’est ce que nous voudrions préserver dans la forme la plus achevée.
Le travail sur le son, la présence des micros et de l’amplification nous avaient déjà orientés vers le murmure, vers ce «chuchotement bucolique et crépusculaire» qui sied si bien à ce cycle de «confessions intimes». Quasi immobiles, plongés dans l’obscurité, les personnages n’en sortent, faiblement éclairés, que pour nous délivrer sur le souffle, dans un jeu tremblé qui n’assène aucune certitude ni aucune vérité, leurs fragments de confidences mono­logués. Cette option de jeu produit un effet d’étrange sérénité, de sensualité aussi, doublé d’une pudeur qui peut aller jusqu’à la gêne ou au malaise en regard de la crudité des thèmes érotiques et sexuels abordés.


Y. M.: Vous avez également opté dans cette pièce précise, pour une présence très enveloppante de la musique.


A. L.: J’ai en effet pris un parti d’unité en faisant appel à l’œuvre d’un seul artiste, le compositeur estonien Arvo Part dont j’apprécie le sens de l’épure, les rythmes simples et l’aspiration sinon au sacré du moins à la spiritualité. C’est une musique lente et répétitive, qui tend à la raréfaction, au dénuement, dont les notes simples et les accords parfaits s’appuient sur le silence.


Y. M.: L’une des singularités de la compagnie Thec est aussi le recours assidu à la vidéo. De quelle manière cette fois ?


A. L.: Contrairement à beaucoup de mes congénères, metteurs en scène ou plasticiens, je n’utilise pas la vidéo de façon conceptuelle ni à des fins technologiques, mais beaucoup plus pour installer les comédiens dans une atmosphère ou une ambiance. Il y aura derrière les comédiens un écran unique sur lequel seront convoquées des images enregistrées relatives au tableau en cours, – car il s’agit aussi d’une écriture en tableaux... On y découvrira tour à tour des images de nature, car la nature est très présente, voire déterminante chez Lawrence, des extraits de textes aussi, graphiques ou sonores, ce qui en surimpression avec la voix des acteurs présents produit un effet de choralité, voire de musicalité. Je tenais surtout à ce que ces images soient très modestes, très discrètes, aux antipodes du spectaculaire, comme un adjuvant très simple de ce qui se passe sur le plateau dans le jeu des comédiens. Toute modestie préservée, je me sens très proche, en tant que spectateur du moins, de ce que Guy Cassiers a proposé dans Sous le volcan...


Lille, Théâtre du Nord, 12 décembre 2009

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