: Comment faire entendre le flow théâtral de Jelinek ?
Par Ludovic Lagarde
Tout le monde est aveugle dans cette pièce. L’écrivaine qui s’y projette en prophétesse aux yeux ensanglantés. Le roi Trump en Œdipe qui fonce vers l’avenir les yeux crevés. Et nous qui savons bien que c’est catastrophique mais laissons grimper sur le trône des figures incarnant le pire de nous-mêmes.
C’est à priori l’auteur qui parle dans ce texte, mais quelle part d’elle-même ? Est-ce l’enfant meurtrie de l’après-guerre à Vienne, la vieille dame qu’elle devient aujourd’hui, l’écrivaine célèbre, la féministe, la prix Nobel de littérature, la poétesse radicale, ou la femme assidue des réseaux sociaux, la cliente d’Amazon, la spectatrice des séries sur HBO ? Toutes ces voix à la fois. Jelinek engage tout d’elle-même et active, avec parfois l’énergie du désespoir, la littérature et l’intelligence face à la violence politique et à la bêtise. Et lui le roi, de qui s’agit-il ? D’un gosse violent sérieusement frustré qui a mal tourné, d’un génie de la communication, d’un nouveau führer postmoderne, d’un businessman qui a vraiment-vraiment réussi ? Ou de notre pire cauchemar : un clown qui nous emmène, rigolard et narquois, vers la fin du monde...
Comme dans le film Matrix ou dans les romans de James Ellroy, pour arrêter le monstre, il faut pénétrer sa psyché, au prix de sa propre vie. Jelinek veut détruire le phénomène Trump avant qu’il ne nous détruise et engage dans ce combat ses moyens littéraires et sa propre existence. L’arme subversive de l’humour et l’usage de blagues dérisoires ou acides font partie de la panoplie.
L’art de Jelinek s’invente « à vue », le texte est la
transcription en temps réel de la pensée en train de
s’élaborer. Le texte n’a de sens que dans ces multiples
interprétations, ces énigmes, visions, métamorphoses
ou révélations. Et à défaut d’action, il regorge
d’événements.
Dans un dispositif abstrait, on assistera sur scène à la
transformation continue de l’interprète pendant toute la
durée de la représentation. Une maquilleuse, coiffeuse,
habilleuse, interviendra à vue pour réaliser sur elle
un certain nombre de transfigurations. La création
musicale de Wolfgang Mitterer sera également réalisée
« sur mesure », à même la voix de Christèle Tual.
- Ludovic Lagarde
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