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Study#3

William Forsythe ( Chorégraphie )


: Entretien avec William Forsythe

Propos recueillis par Philippe Noisette pour le Festival d'Automne

William Forsythe cultive une discrétion certaine qui contraste avec sa place dans le milieu chorégraphique actuel. William Forsythe n'est peut-être pas loin de penser que son oeuvre lui suffit pour entretenir un dialogue avec son public. A Cologne au printemps dernier il nous a accordé un long entretien en marge des représentations de Study # 3. Et ce juste avant de partir préparer un nouvel objet chorégraphique ainsi que sa participation à la Biennale de Venise ... d'architecture. "Je dois être le seul artiste à avoir été présent à Venise pour trois biennales différentes : celle d'art contemporain, celle de danse et cette année d'architecture" s'amuse-t-il. L'art de William Forsythe déborde depuis déjà quelques années le cadre strict de la danse. Ou les danses devrait-on dire. Il s'en explique ici, évoque son passé et son présent, Petipa ou Balanchine. Et YouTube. Forsythe en toutes lettres. Ou presque.

Le Festival d'automne pour cette nouvelle édition s'ouvre sur un Portrait Forsythe soit une programmation de plusieurs de vos pièces et l'invitation à des créateurs proches de votre univers. Vous venez de signer de votre côté une création Study # 3 qui s'inspire de votre répertoire. Comment est née celle-ci?


William Forsythe : J'ai eu le Teatro Grande de Brescia, un des plus beaux qui soit en Italie, pour travailler en 2012. Giacomo Puccini y a redonné son Madama Butterfly qui avait été durement reçu à sa création à Milan en 1904. On lui reprochait alors d'avoir repris des motifs, d'avoir pioché dans ses précédentes pièces. Puccini remanie son opéra, le réorganise. Et il va connaître un grand succès cette fois dans la ville de Brescia quelques semaines plus tard. En arrivant à Brescia, j'avais une chose en tête : j'ai fait tellement de mouvements dans mes 40 ans de carrière, tellement de pas dans ma vie que j'avais l'impression de ne pas pouvoir aller plus loin. Et j'ai pensé à cette façon d'entrevoir les "archives" de ma danse.


Comme des archives à danser et à transporter ?


William Forsythe : Oui ce n'est pas faux. Je voulais également que Study # 3 soit une pièce simple dans sa présentation. Il y a simplement des scènes acoustiques avec ce travail des voix et des scènes de mouvement. En fait chaque scène de Study # 3 contextualise la suivante. Il n'est question que de doser l'énergie en scène. C'est le plus difficile. Et puis certaines de mes créations ne peuvent plus voyager : c'est alors l'occasion d'en capturer des éléments.


Tout Forsythe dans un Forsythe en définitive ?


William Forsythe : A un moment, les danseurs entament un extrait de la table dance de One Flat Thing, reproduced qui se poursuit pas une citation de The Room as it Was et quelque chose venu de Yes we can't puis Artifact sans oublier une version ancienne de LDC datée de 1985... Il y a ce passage d'Artifact où on a cette citation reprise un peu partout : “Bienvenu à ce que vous croyez voir”. Vous voyez à quel point les transitions sont importantes pour structurer Study # 3. Cette pièce est en constante évolution par la force des choses... même si ce n'est pas ce que je recherchais au départ.


Vous aimez utiliser le verbe dans vos créations. Dans Study # 3 il est également question du souffle.


William Forsythe : Le travail sur le son dans cette création est aussi important que la danse elle-même. C'est même un point dominant.


Study # 3 plus qu'un auto-portrait ressemble à bien des égards à un hommage à vos interprètes.


William Forsythe : Perdre un de mes danseurs c'est toujours un drame. Mon "job" consiste à trouver le contexte le plus approprié pour mettre en valeur ce désir de danser. Je dis à mes interprètes : vous voulez danser. Ok. Bonne chance (rire). La chorégraphie est au service des danseurs, j'en suis de plus en plus convaincu. Néanmoins beaucoup pensent le contraire. C'est d'autant plus vrai lorsque les danseurs sont matures. Je travaille avec nombre de solistes modestes alors qu'ils ont des aptitudes incroyables. Je disais un jour à Riley Watts : “si tu avais été de la génération de Misha Baryshnikov tu aurais pu te comparer à lui”. Il ne voulait pas entendre cela. Il danse dans Study # 3 un extrait de Limb's theorem. Je n'avais jamais vu cette partie comme cela depuis Michael Schumacher (ancien danseur du Ballet Francfort). Je crois que je n'aurais pas pu créer cette pièce avec d'autres interprètes : il m'a fallu quatre ans pour en arriver là, les amener à cela. J'aime mes danseurs!


Dans ce Portrait, le public va parcourir le répertoire qui est le vôtre. Vous êtes attaché à ces ballets, ces chorégraphies qui sont votre histoire ?


William Forsythe : Je me demande toujours si ce genre de danse va disparaître. Enfin un certain type de danse comme ce que je fais maintenant. Je travaille ou j'ai travaillé longtemps sur certaines de ces créations, parfois pendant 25 ans. C'est le cas par exemple de In the middle Somewhat, Elevated ou Artifact. J'ai vu il y a peu à l'Opéra de Paris Le Palais de cristal de George Balanchine. J'avais connu cette chorégraphie sous le nom de Symphonie in C. Balanchine a d'abord créé une version pour Paris en 1947 puis une autre pour New York l'année suivante. Mais ce n'était pas la même. Et j'ai compris que Balanchine travaillait constamment sur ses ballets, en proposait d'une certaine manière différentes versions. A chaque génération de danseurs corresponde des versions. Je ne fais pas autre chose.


Le Semperoper Ballett de Dresde présentera un programme Forsythe ( Steptext/ Neue Suite/ In The Middle, Somewhat Elevated). Ce sera une découverte pour le public français.


William Forsythe : Ils sont formidables, parmi les meilleurs en Europe avec le Ballet de l'Opéra de Lyon. Je mets à part le Kirov ( NDR : Théâtre Mariinsky de Saint Pétersbourg)...
Vous allez voir In The Middle, Somewhat Elevated comme il doit être. Et comme on ne le voit pas forcément. Les danseurs ont tendance parfois à vouloir moderniser ma danse...


D'autres artistes qui ont été danseurs avec vous sont invités du Festival d'automne. Une Galaxie Forsythe ?


William Forsythe : C'est le cas! Je suis fier d'eux. Prenez Eifi Eifo c'est un tour de force (NDR : en français dans l'interview). Cette création est à propos du dilemme du danseur qui doit garder en tête tellement de données au même moment : le personnage, la représentation, et la relation avec l'autre. Plus je regarde des danseurs, les miens mais pas seulement, et plus je me dis : comment font-ils ? Mais c'est avant tout le talent de Ioannis Mandafounis et Fabrice Mazliah, je n'y suis pour rien. Simplement je suis heureux d'y être associé. C'est la même chose avec Jone San Martin.


Diriez-vous que de nos jours les danseurs sont plus techniques ?


William Forsythe : Cela dépend des compétences que vous recherchez, de ce dont le chorégraphe a besoin.


Qu'est ce qui a changé depuis vos débuts en Europe ?


William Forsythe : Peut-être cette ubiquité dans le milieu de la danse qui est apparue via les nouveaux médias. You Tube a changé la vie de tout le monde y compris la mienne. Et le monde de la danse. Je suis obsédé par le “grand pas” de Paquita de Marius Petipa un proto-balanchine ballet. Une pièce de pure chorégraphie, peut-être ce qu'il y a de plus extraordinaire à mes yeux. Toute la danse du XIXème siècle concentrée en un seul moment. Il y a de grandes discussions sur internet avec des gens qui font des recherches très poussées. Plutôt que de faire 200 pièces que personne ne pourra voir en une seule vie, c'est une façon de partager votre travail. Il y a aussi des éléments perdus dans le temps... La question n'est plus simplement comment produire de nouvelles choses mais également comment vous débrouiller avec ce que vous avez. Petipa ne devait pas faire autrement.


Il y a toute une génération d'artistes pour lesquels vous êtes en quelque sorte une référence. Vous en avez conscience?


William Forsythe : Lorsque vous créez une pièce vous le faites pour le public -qui vient parfois pour la première fois- et pour vos collègues aussi. Pourquoi le cacher. Et cela crée des opportunités pour discuter, échanger. D'une certaine façon vous "publiez" votre travail en le montrant. Ce qui va nourrir ce dialogue.


Vous avez l'impression aujourd'hui encore d'être un trait d'union entre la danse américaine et la danse européenne ?


William Forsythe : Je pense que je suis effectivement un lien! Je n'ai pas de problème avec l'”entertainement” ou l'humour d'ailleurs. Voilà ce que j'aime chez quelqu'un comme Jérôme Bel...


Vous accordez une grande importance à l'enseignement. En 2015 vous allez d'ailleurs enseigner à la USC School of Dance de Los Angeles. C'est essentiel pour le créateur que vous êtes ?


William Forsythe : Cela devrait l'être... ou peut-être pas. Je suis constamment dans une position de trouver un socle commun. Tous les chorégraphes essayent. Il y a tant de façon de chorégraphier. Il s'agit pour ma part d'enseigner une sorte de philosophie, d'esthétique. Il s'agit de mon approche des choses; ce en quoi je crois.


On danse beaucoup Forsythe dans le monde. Cela vous inspire un commentaire ?


William Forsythe : Effectivement certaines années il se donne pas loin de 400 représentations de mes ballets. Lorsque on m'a donné ces chiffres j'ai pensé : vraiment? Est-ce possible? Je devrais faire comme David Bowie qui a vendu des "obligations” sur les futurs revenus de ses oeuvres! Je pourrais gager In the middle non? Mais j'ai peur que la danse ne soit pas aussi bankable !


Quelle est la place d'un artiste contemporain aujourd’hui ?


William Forsythe : Vous voulez dire : avons-nous une responsabilité? L'important n'est pas ce que je pense de moi mais quel genre de dialogue je peux engager avec le monde. Il m'arrive de dire à mes danseurs : “parlez-vous de l'état de l'art?” Car il y a un dialogue à engager et c'est avec le public. L'artiste Richard Serra disait : “J'ai toujours pensé quel les spectateurs sont plus intelligents que moi”.Je le pense tout autant .

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