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: Entretien avec Jean-Paul Delore

Extraits de propos recueillis par Bernard Magnier pour le Tarmac, octobre 2011

Pourriez-vous nous raconter la naissance de ce spectacle ?


Jean-Paul DELORE : Je suis allé à plusieurs reprises ces dernières années à Johannesburg. J'y ai rencontré des individus, des artistes, des lieux....(…) J'ai appris peu à peu à aimer cette ville complexe. Curiosité, fascination, inquiétude, incompréhension, ce sont ces sensations qui m'ont donné envie d'imaginer ce spectacle.


Ster City c’est où ? C’est quoi ? C’est comment ?


C'est un ancien cinéma abandonné, énorme, en plein centre de Johannesburg. Ce multiplex, luxueux dans les années 70 et 80, réservé aux blancs, est aujourd'hui fermé et dévasté mais, partout autour, la vie grouille de mouvements, d'échanges, de trafics... Des milliers de femmes, d'hommes et d'enfants, venus de tout le continent africain ou des quartiers périphériques s'établissent ou transitent dans cette partie de la ville. Un port vivant, sans océan...


Quelles impressions avez-vous gardées de Johannesburg ? De l’Afrique du Sud ?


J'aimerais pouvoir rendre compte de cette impression de « l'hyper présent », ce « very strong present » ressenti à Joburg. Car je ne sais pas raconter les souvenirs, les images de tous ces voyages et c'est sans doute cette carence qui me conduit à faire des spectacles.(…)


Le spectacle laisse entendre plusieurs langues (français, anglais, zoulou, afrikaans) pourquoi ce choix d’une multiplicité des langues ?


L'histoire de l'Afrique du Sud est faite de tant de mouvements de population, choisis et subis... Peut-être la diversité des langues nous aide-t-elle à évoquer non pas l'histoire des endroits mais plutôt le mouvement lui-même. Et plus simplement, (…) je suis intrigué par la matière d'une langue, avant même le sens :le grain, les sonorités, le rythme, les accents, tout ce qui fait la musique d'une langue. Mais aussi les mots intraduisibles, les faux amis d'une langue à l'autre, les mélanges de langue dans une conversation, dans une phrase, les efforts pour parler une langue qu'on ne connaît pas c'est-à-dire ce champ qui voit se combiner désir, frustration et énervement.


Le texte (les textes) quel est-il (quels sont-ils) ?


(...) Avec Ster City, l'ordonnancement des faits marquants de l'histoire sud-africaine, de la préhistoire à nos jours, racontée à un public à partir de dix ans, constitue l'essentiel de la trame.
Les ennuis commencent ici, si l'on peut dire, car les historiens – on peut s'en douter – ne sont pas tous d'accord... De toute façon, il n'est pas certain qu'un exposé de dates et de batailles soit très théâtral, alors nous avons choisi une restitution non chronologique de tous ces faits marquants, en essayant de privilégier une relation sensitive à l'Histoire, plus proche de l'association d'idées. Le scénario, les textes, les musiques et les images vidéo vont être créés au cours des répétitions, au bord du plateau. Il faut ajouter que cette fausse conférence historique est jouée par deux acteurs improvisateurs, jeunes, hors normes ; ils se partagent des fragments brûlants de l'Histoire sud-africaine et de leur propre histoire ; ils ont le cou tendu vers l'avenir. Donc, emblématiques de la modernité sud-africaine…


Pourquoi avoir choisi d’adresser plus particulièrement ce spectacle aux jeunes spectateurs ?


Héraclite dit «le temps est un enfant qui joue». A qui appartient la vérité de l'Histoire de n'importe quel pays qui avance par autant de renversements, de mélanges, d'aventures, d'échecs et d'espoirs ? On ne tranchera pas la question, évidemment. Nous allons dire au jeune public de Ster City : il y a des questions et une sécheresse de réponse, sur ces événements qui se sont échappés, ces couleurs de peau et de paysages controversés, ces animaux « réservés » et sauvages, ces cartographies provisoires... Ce sont des questions nées là-bas mais qui raisonnent ici, et rendre compte de cette difficulté à répondre aujourd'hui, peut prendre une saveur particulière pour le public de tout âge au moment où l'Europe n'en finit pas de s'interroger sur sa propre identité... Cette Europe aussi omniprésente que minoritaire ces cinq derniers siècles sur ces terres australes qu'on ne peut réduire à l'invention là bas de cette monstruosité que fût le développement séparé ou apartheid mais qui devra bien admettre que le berceau de l'humanité ne se situe pas du côté des grottes de Lascaux...
Pour ce qui est du jeune public, je ne sais toujours pas si une catégorie particulière de public implique un genre particulier de théâtre. On peut continuer de rêver que c'est l'œuvre qui crée son public et non l'inverse et d'ailleurs j'insiste sur le fait que Ster City est un spectacle tout public à partir de 10 ans. Vouloir raconter l'histoire de ce pays à ce « tout public », en une heure seulement est un pari à peu près aussi stupide qu'un concours du meilleur mangeur de saucisses, mais finalement toutes ces contraintes nous obligent à un traitement abstrait de l'histoire, à un théâtre avant tout mental, dont je suppose qu'il puisse réunir le vieux et le jeune public. La plupart des spectacles du programme Carnets Sud/Nord sont écrits de façon non linéaire, par associations d'idées, faisant la part belle à la dérive de fragments, ne cherchant pas forcément à introduire une hiérarchie entre le détail et le général.
L'unité d'une personne ou d'un people est-elle menacée par le chaos apparent de la pensée, des rencontres, de la diversité des influences ou des comportements? Cette reflexion-là, par exemple, exténuante ou apaisante, est difficile à aborder pour un adulte mais je crois que tout enfant l'éprouve physiquement jour après jour depuis la naissance. Je ne sais pas ce qu' un individu à partir de dix ans a la permission d'aimer. Mais nous voulons lui montrer que nous, nous aimons les plis, les courbes, les tiroirs, les paysages et les phrases non finies, les enfants compliqués, les clichés d'organes vitaux et google earth, les bâtards, les peintures rupestres, les corps mélangés et fragmentés car peut être amoureux, morts ou seulement somnolents....

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