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Soliloques

mise en scène Kristian Fréderic

: Kristian Frédric

Propos recueillis par Véronique Laupin

- Comment est né ce spectacle, comment as-tu découvert ce texte ?…


- J’avais mis en scène « La nuit juste avant les forêts » de Bernard-Marie Koltès, je n’avais pas d’idée pour la suite et quelqu'un m'a dit de lire Jean-Pierre Siméon… Je suis tombé sur ces deux écrits Soliloques et Stabat Mater Furiosa. Dans l'édition des Solitaires intempestifs, ils sont dans l'ordre inverse, deux pièces complètement différentes, et je me suis dit que ces deux pièces, il fallait les mettre ensemble, qu'elles parlaient de la même chose. Voilà, ça parle de la guerre. Dans Soliloques, les personnages sont enfermés sur eux-mêmes, dans un monde qui les ronge. Ils se sont exclus, ou ils ont été exclus du monde, ou ils sont stigmatisés par le monde.


- Et la guerre ?


C'est le Dow Jones, c'est l'argent, c'est le pouvoir, c'est la globalisation, c'est ce monde qui fait qu'on ne se regarde plus, qu'on ne se voit plus, qu'on fait semblant de se voir ou de se dire bonjour, c'est notre monde moderne, c'est notre monstre. Moi je crois qu'on a vraiment bâti un monstre, vraiment. C'est pour ça que dans la mise en scène, il y a du sang, il y a le passage du sang.


- C'est une pièce politique ?


- Non, c'est seulement ce que je dis maintenant et que je ne peux pas dire autrement.


- Tu donnes comme titre à la pièce : Ya Basta…


- Oui, ça suffit !


- Un Oui… qui est marqué considérablement, par le Sous-Commandant Marcos, un homme qui lève le poing et qui prend l'arme, la vraie…


- Oui, il a pris l'arme (bien sûr qu'ils sont armés sinon on les massacre)… mais ensuite il s'est servi des mots et de la pensée, il a écrit des livres, Ya Basta, c'est le titre d'un de ses livres. Il a utilisé la communication pour parler, pour dire non, on n'est pas d'accord, et dans ce monde, nous voulons être reconnus en tant qu'êtres humains et être capable de dire non. Vous voulez m'arrêter ? Arrêtez-moi mais je ne dirai pas oui. Pour moi, ne pas dire oui, c'est aussi ne pas dire oui à ce système théâtral, ne pas leur dire merci.


- En quoi la forme théâtrale est plus appropriée, puisque c'est celle que tu emploies, à dire ce genre de choses ?


- Je ne sais pas, je ne sais pas faire autrement, je ne sais pas faire autre chose. Je pense que si je ne faisais pas du théâtre je prendrais d’autres armes.


- Vraiment ?


- Vraiment !


- Mais justement pourquoi le théâtre ? En quoi la forme que tu es entrain de travailler en ce moment, de créer, de fabriquer, pour dire cette parole, te convient ?


- Je ne sais pas si ça me convient, je ne peux pas faire autrement, et puis c'est la forme que j'emploie maintenant. Peut-être qu'un jour je ferai du cinéma, peut-être qu'un jour j'écrirai, mais je ne sais pas écrire, peut-être qu'un jour je ferai d'autres enfants, ça sera peut-être mon arme, d'éduquer d'autres enfants à combattre ce monde-là, je ne sais pas.On a assez donné dans l'éducation judéo-chrétienne, dans toutes ces conneries-là, on a des enfants, on a l'avenir qui est là, moi j'ai envie de vivre et de laisser un monde meilleur. Si Luther King était encore vivant j'irais habiter chez lui, tu vois ? Moi je suis prêt à tout là, je suis prêt même à arrêter le théâtre et je suis prêt à dire vraiment non. J'ai trouvé cette forme pour le dire, mais je dépends d'une production et c'est difficile de trouver de quoi diffuser ça, parce que si tu parles comme ça à des gens, ils ont peur, ils se disent qu'est-ce que c'est que ce fêlé, mais bien sûr que ça les arrange de se dire ça, tu penses bien, ils ne se regardent même pas eux-mêmes. Il y a une phrase du sous-commandant Marcos qui dit : "tu veux savoir qui est Marcos, qui se cache sous son passe-montagne, alors prends un miroir et regarde-toi, le visage qui s'y reflète est celui de Marcos, car nous sommes tous Marcos". On est tous au fond de nous-mêmes le sous-commandant Marcos. Pour moi ce spectacle dit ça, il dit Ya Basta. Mais il dit aussi qu'on n'est pas dupe. C'est pour ça qu'il y a un démiurge sur le plateau. En même temps, ce n'est que du théâtre, que du plaisir de théâtre.


- Tu dis que se sera un spectacle trash ?


- Oui, j'ai eu un choc pendant « Crash » de Cronenberg, j'ai bandé pendant le film, c'est terrifiant. Je crois que ce monde de la terreur, notre monde de la terreur (et on le voit à la télé, on le voit partout), est excitant, il est même intrigant. Très peu de gens, quand ils voient des images de mort pendant les informations à la télévision, font : oh quelle horreur on éteint. Non il y a une fascination, la fascination du mortuaire, la fascination de la tuerie, la fascination de la soi-disant communication. Il n'y a plus personne qui devant une photo dans un journal , referme le journal en pleurant, en disant putain quelle horreur ce gamin mort, là ! Alors le début du spectacle, j'ai envie que ce soit fascinant, fascinant d'horreur. Et j'en ai discuté avec Jean-Pierre Siméon hier qui m'a dit, je vois où tu veux en venir, tu veux faire « l'Enfer » de Bosch. Tu veux faire la descente aux Enfers. Pour moi, c'est ça, le début de Ya Basta, c'est la descente aux Enfers.


- Je cherche toujours à comprendre de quelle manière tu travailles, à partir de l'émotion que te provoque un texte ou bien tu as d'abord un spectacle en toi et tu te sers du texte?…


- Avec Annabelle STEFANI, on a écrit un synopsis pour mettre les deux textes ensemble et je suis ce synopsis.


- Et après, pour toi, tout se passe en répétition ?


- Oui.


- Tu es arrivé ici avec une maquette, la scénographie, elle, ne se fait pas en répétition ?


- Non, non. J'arrive avec un univers que j'impose aux gens. Je leur dis, voilà, je veux que ce soit dans cet univers-là et après, il y a une grande liberté dedans. On ne cherche pas un univers. L'univers je l'emmène. Je les « emprisonne », en fait je les aime. C'est-à-dire que je les love, je les prends. J'amène un univers tellement fort que toute proposition sera dans cet univers-là… Il y a Ferreri aussi, on n'a pas parlé de lui, il est présent dans le spectacle, « La Grande Bouffe, » il y a Pasolini aussi, il y a Fellini, « La Strada, » présents dans le spectacle. Il y a ce côté cirque. C'est un univers que je n'avais jamais amené sur un plateau de théâtre. Je m'aperçois que je me suis beaucoup menti à moi-même. Par le passé, j'ai voulu faire bien pour être un bon élève, même dans ma façon de faire du théâtre. Et je m'aperçois que je me suis renié tout le temps. Je suis enfin né! Alléluia! Je suis né à 41 ans! Je ne sais pas si ce spectacle va rencontrer les gens, tout ce que je sais c'est que moi, je rencontre les gens avec qui je travaille dans ce spectacle.


- Quel rapport as-tu avec le corps des acteurs ?…


- Pour moi c'est essentiel ! ça fait cinq spectacles que je travaille avec des chorégraphes. C'est le premier spectacle où je crois aller loin avec un chorégraphe. Les premières fois où je l'ai fait, je ne l'avais pas assumé assez parce que je n'étais pas assez présent. Pour moi, bouger c'est parler. Pour moi un silence est un mouvement, un projecteur est une note de musique et un mouvement. Pour moi, tout est chorégraphie. Un bon personnage est voué à se taire sur un plateau. S'il parle, c'est qu'il ne peut pas faire autrement. S'il bouge, c'est qu'il ne peut pas faire autrement. S'il se tait, c'est qu'il ne peut pas faire autrement. Avec Laurence Levasseur, c’est bien parce qu'elle a cette poésie-là, et ce sacré-là (on se rejoint beaucoup sur le sacré.) Sans se le dire, on partage le même univers du sacré, le Haut, le Bas, le Démiurge, la Caverne, la numérologie.


- Comment se passe l'aller-retour entre toi et le plateau, entre ta caverne, justement, et le fait que le théâtre soit un art collectif ?


- Je ne sais pas, je n'arrive pas à formuler les choses, je les fais au moment de les faire, avec les gens. Elles transpirent de ce que les gens me donnent. En fait, je pense que je suis un vampire. C'est pour ça que le personnage du Démiurge sur le plateau, c'est moi aussi, c'est dire : j'accepte aussi d'être cela, j'arrête de me mentir à moi-même, je suis un vampire. Et même, si j'osais : on a un rapport avec dieu sur un plateau, on parle à dieu sur un plateau… Je le sens, plein de fois, des émotions me traversent… un comédien qui est là, qui ne dit rien, qui est en train de chercher, c'est très émouvant. J'ai l'impression que ça m'élève vers le haut. Un plateau de théâtre, ça amène un lien avec le haut. Voilà, alors ça suffit de vivre avec le bas!

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