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Sérénité des impasses* 26 sorties du sens atteint

+ d'infos sur le texte de Alain Béhar
mise en scène Alain Béhar

: Génèse du spectacle

L'eau anonyme suit tous mes secrets. Le même souvenir sort de toutes les fontaines.
Bachelard


Je parle vers une autorité chaque fois à re f a i re, je parlerai jusqu'au livre .
Szladich


Voici trop de mots pour encore commencer à se parler de ça. Mots qui cherchent un ordre pour cette fois et s'en méfient. Mon travail sûrement (mais pas seulement) pourrait se raconter par cette tension primaire entre désordre et appel d'ordre. Et inversement. Le jeu de ça, qui trouve et s'en libère, l'effroi de ça. Cette sorte d'essai de conciliation, improbable. Besoin d'ordre, haine de l'ordre.


Il y a chaque fois (et chaque fois autrement) à considérer cette obscénité particulière au passage de l'écrit à la parole pour qui met en scène son propre texte. Ce qui s'expose, qu'on ne peut pas dire. Quelque chose de dangereux (je crois ça) qu'on offre et qu'on nie au théâtre en se déclarant l'auteur présent des mots d'un livre absent.



Il y a des trucs qu'on ne peut dire que mort. Qu'on dit quand même. Masqué, sûrement. Des morts masqués, une fiction quoi.


Il y a un déplacement conséquent de ce qui avait été prévu. Qui dit l'intuition d'un temps faussé, peut-être trop rapidement conclu pour ne pas faire tourner l'autre au même, à peine paru. Qui dit vouloir faire encore attendre l'autorité du plateau pour qu'elle ne se saisisse pas trop tôt du texte et l'achève. Qui dit dérouter, contourner un peu sa propre règle et rouvrir simplement du temps à prendre dans un temps convenu.


Il y a un projet de plateau et un projet d'écriture. Les deux se croisent et s'emmêlent sans (pour l'instant ?) se confondre. Une sorte de conversation tendue entre le livre absent et la scène. Entre l'écrit en devenir et la parole présente, présentée dans la convention.


Du présent perdu et du présent à perdre.


On porte et parle des projets longtemps, dans toutes sortes de contextes, avec le plateau comme but. On dit ce que c'est, que ce sera, c'est autre chose au fond, on fait comme si. Tout le monde est d'accord. Ouvriers en prévisions et préparatifs. Spécialistes et amateurs de pièges à sens.
Jusqu'où ? Le plateau est venu jusqu'ici chaque fois - d'une façon ou d'une autre - conclure, interrompre le mouvement d'écriture. Pour cette fois, sans qu'il soit question d'en éprouver la valeur, j'ai le désir (cette sorte de nécessité sans autre fondement qu'elle même) de passer d'abord l'écriture et la question de l'écrit par le plateau, en amont du livre. L'idée d'un livre. C'est-à-dire composer la version définitive du texte de notre prochaine création d'après un premier travail scénique.


Une sorte de form e - m è re et passagère. Je me le raconte comme ça, aujourd'hui. On se le raconte,
on raconte. Quel récit précède l'autre ? Celui qu'on dit ou celui de le dire ? Je ne me suis jamais vraiment posé la question du livre. Je ne me suis jamais donné cette possibilité de séparation, d'oubli.
C'est pour un jeu, c'est une croyance, momentanée.


ALICE : Je suis dans l'idée du sujet. Je suis de mon vivant inadmissible, je fais la morte. Qui suis-je ?


En ce sens nous travaillons actuellement avec une version passagère du texte et construisons une forme pleine qui sera présentée en janvier prochain au Théâtre des Bernardines, en deux temps:
Les 9, 10 et 11 janvier 2003. Les 23, 24 et 25 janvier 2003. On travaillera entre ces deux temps à déplacer ce qui aura eu lieu et à rendre sensible ce déplacement. C'est une expérience publique en prévision d'une autre mais accomplie pour elle-même, ça n'est pas un essai. C'est une question mi-fictive posée pour soi, vers l'autre, c'est donc un spectacle.



Dans le mouvement de ce travail et sans le prend re pour sujet, on organisera avec le Collège International de Théâtre et le Théâtre des Bernardines une série de re ncontres débats ou de conversations qu'on pourrait intituler "Commencer, finir" ou "À quelles fins ?" ouvrant une réflexion autour des notions d'essai, de recherche, d'expérimentation et l'idée de fin en art.


" Commencer, finir, à quelles fins ?"


En quoi ces notions et formes intermédiaires nous racontent encore ? Qu'est-ce que ça veut dire, qu'est-ce que ça dit ? Qu'est-ce que ça masque ? En quoi sont-elles activent pour ceux qui les pratiquent, dedans, dehors? À quoi résistent-elles ? En tournant autour de ses notions et du mot "fin", on aimerait simplement partager avec quelques autres, sans autre but que la conversation ouverte, du sens du jeu et des questions.


C'est sûrement pour soi-même et de son vivant une part du rôle de l'œuvre achevée (ou déclarée comme telle) que de pouvoir la recommencer.


Dans Sérénité des impasses, il est aussi question de ça.


Il y aurait, pour dire vite, un propos : des questions sans fin à propos de fin. De l'idée de fin en art et ailleurs. Comme on dit "à quelles fins ?" et comme on dit finir, achever. L'œuvre, l'objet, sortir, en sortir, ce genre de chose. Un motif symbolique en contrepoint: l'eau. Libre, infinie, qui se mêle à tout et qui mêle tout. Transparente et réfléchissante. Apparition, disparition des figures et voix féminines liées aux mythologies de l'eau. Une obsession: les limites passages et frontières entre ça et ses contraires. Mobiles et immobiles, dans la passion du passage. C'est l'histoire dans la mienne de quelques voix à figurer. Qui cherchent à comprendre encore ou autre chose et se dégagent quand elles se croient comprises. Qui disent pour signifier encore devoir sans fin sortir du sens quand on l'atteint. Il y a quatre voix principales et féminines comme quatre cours d'eaux, plus ou moins libres, plus ou moins orientées de perspectives nouvelles, plus ou moins fondées sur des hauteurs passées, qui filent ou traînent par nature vers une vallée choisie, invérifiable. Toi oui, toi non. Il y a presque chaque fois en chemin ce barrage - comme n'importe lequel - vers quoi tout semble converger, qui trie régule, vérifie au passage vers l'aval, et détourne la plupart vers la Vallée des avalés. C'est une histoire pour contourner le barrage. N'i mporte lequel.



ALICE :
C'est pour gagner l'horizon, comme une barre logique à franchir ou défaire. C'est d'abord perdu et c'est sans doute comme ça doit l'être. De l'avenir au présent, qui ne mène nulle part, invérifiable. C'est agaçant, je sais, quoi qu'il en soit des durées, et tu m'agaces aussi. C'est pour attendre encore et masquer par l'attente comme au fond chaque fois tu nous ramènes au Même. Et même aussi "ça" de moi en toi, qui doute, qui ressemble. Le moindre écart dedans. D'outre-tombe et d'avant naître. L'autre commence chaque fois mais vers la fin le Même revient.


Il y a l'idée d'un conflit plus ou moins explicite entre les figures qui parlent (ce qu'elles parlent) et des éléments "spectaculaires" qui les environnent. Le son, l'image et l'espace comme des interlocuteurs, envahissants.


Il y a 26 courtes séquences dialoguées à deux puis trois voix chacune et quelques pages d'histoires monologuées. Des clairières. Quelque chose ou quelqu'un - une sorte dionysiaque de figure des entre-deux contemporains - y relie entre eux des territoires emboîtés les uns dans les autres, sans jamais s'y identifier. Il dit tenter encore l'inconciliable, et du nouveau, et de l'ancien. De la langue et du "spectaculaire " .


Deux voix d'abord s'accordent, une troisième entre et désaccorde, une des deux premières sort, puis les deux restantes à nouveau s'accordent jusqu'à l'entrée d'une suivante, ainsi de suite.


Il s'y présente un "On" vague et inquiet d'enfermements, délicatement dégoûté par l'usage uniforme des mesures entendues et celui tout aussi convenu des abstractions d'usage.



Je voudrais rendre sensible - entre autres - cette évidence à partager - ou variation autour d'un thème - qu'un autre y déplacerait de l'Un dans l'impasse ou du même et l'Académie, un autre encore quand c'est placé, ainsi de suite. Et par exemple que ce serait beau. Ça qui en sort, du sens, quand on l'atteint.


Par exemple "beau" ce serait quoi ? Une invitation à en rester là. Qu'on refuse. Ça paradoxalement dont je suis écarté séparé sans équivoque et qui pourtant me touche. Ça que j'ai pourtant vraiment et qui manque encore. Ça simplement d'autonome et donné là, qui ne se montre pas, qui ne demande rien. Comme pris d'emblée, ou peut-être qui me prend, comme n'importe quel autre mais juste moi. Justement non, ça ne me prend pas non plus. Sinon cette sorte de mélancolie active et qui prend dans l'écart comme d'un écart perdu sans vraiment savoir.


Mélancolie - ce genre de chose - dans une organisation nouvelle comme d'un désordre perdu au moment plein où s'articulent apparition et disparition.


Ça dit comme parfois on peut se sentir piégé, mal contenu dans ce qui est compris. Ce qu'on en pense, qu'est-ce qu'on en fait ?


Des histoires de sirènes ou fées des eaux auxquelles on ne croit plus mais qui restent quand même et attendent, in-crues, elles disent, et c'est presque tant mieux. A dit se souvenir de déjà tout ce qui a été dit, et aussi encore de Rien. Z. dit qu'il n'y a pas - qu'il n'y a jamais eu - de territoires vierges à investir mais de la place à re f a i re dans le vacarme déjà-su des savoirs.


26 sorties, de A à Z.


26 prothèses de fin.


Un nom seulement : Alice. Une allusion costumée d'un déguisement historique. Une sorte de fée, mi-femme mi autre chose. Potentiellement un personnage. Comme un refuge - peut-être un piège - par lequel chacun passe à tour de rôle.


Pour autant qu'on puisse parfois - toujours après-coup - donner une mesure à cet écart par lequel on croit travailler le sens et le monde, il est tout à fait insensé - et pour lui et pour le monde - de s'en tenir à elle ou croire le contenir par cette mesure. L'art s'interrompt à l'œuvre dans la question de la fin. Expose, représente et nie la fin dans l'œuvre. On pourrait dire ça sans vraiment en parler, ça diminue quand on en parle :


Il n'y a pas de réponse satisfaisante à la fin de la question. Peut-être un peu de repos et de sociabilité, parfois. Mais bon.


De l'un de l'autre, des ensembles qu'on fait ou qui nous font, qu'on défait et ça n'en finit pas. Un peu comme entre art et culture .


Culture fait refait du lien avec le déjà-là. Autorise des traversées communes et nous parle "ensemble", fait se parler entre eux des ensembles nommés, côtoie chacun par le monde.


Art produit de l'écart quand ça s'enferme, troue l'ensemble et parle à chacun, côtoie le monde par chacun. Rompt avec la fin un peu avant la fin - l'œuvre, l'objet - recommence puis y retourne.


Dans la représentation du toujours même conflit d'un au nombre, qui n'appelle pas d'apaisement par lui-même. Ça ne va pas du silence vers le bruit. Ça ne vient pas emplir ce désert mais s'en faire un. Ça dit venir du bruit, comme vider l'espace d'un plein antérieur. Ça dit vouloir parler jusqu'au livre.


Il s'agit encore, et peut-être comme à chaque fois qu'a lieu effectivement l'effort qu'on pousse ici, d'une tentative de conciliation dans cette tension à force presque "monstrueuse" entre appel d'Art et goût du spectacle. Cet écart en soi-même. Enlever le presque.


On sait bien qu'il s'agît presque chaque fois qu'un enjeu nous parle d'une tentative nouvelle, sorte d'organisation momentanée dans l'ordre en question d'un désord re particulier. L'un complète l'autre dans des temps et rapport au monde différent. Je ne crois pas que ce soit si naïf de le déclarer. Une sorte d'ordre reconnaissable d'une part, qu'on travaille à organiser encore et transmettre et un comme bordel optimiste de l'autre, mettons. Dans le monde, hors le monde, ça côtoie le monde. Pour s'agacer quelques certitudes et l'arrêt, le temps du jeu. Puis ça s'arrête.

Alain Béhar

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