Lorsqu’on m’a proposé de mettre en scène cette pièce de Serge Valletti, je ne connaissais pas les évènements tragiques d’Aigues-Mortes d’août 1893. J’ai donc lu les documents écrits de Gérard Noiriel, publiés par La Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration. J’ai découvert alors un des moments les plus tragiques, et presque totalement ignoré, de l’histoire des émigrés en France, ce véritable pogrom contre des familles entières d’émigrés italiens venus travailler dans les Marais salants qui entourent cette ville sans histoires.

La question était pour moi de savoir : comment le théâtre peut-il être la mémoire d’un fait historique, d’un pogrom, de cet acte tragique… en étant dans notre présent, comment être ici et maintenant en parlant d’hier. A la première lecture de la pièce de Valletti, j’ai immédiatement été séduit par son approche. Il ne s’agit pas d’une œuvre pamphlétaire, il ne s’agit pas de théâtre documentaire, il s’agit d’un théâtre à hauteur d’homme, d’un théâtre miroir qui nous confronte à d’autres nous-mêmes. C’est un sujet grave, profond traité de façon très fine par Serge Valletti, qui est marseillais d’origine italienne. Il y a une multitude de prolongements où chacun est libre d’entendre ou de ne pas entendre ce qui est dit. Cette « comédie triste » qui emprunte au vaudeville nous plonge au cœur d’une famille bourgeoise confrontée, presque par hasard, à un évènement tragique. Et c’est là, dans ce décalage, dans ce croisement entre « petite » histoire familiale et « grande » histoire tragique que se trouve tout le talent de Valletti. Il distille au fur et à mesure du déroulement de l’histoire, ces trois jours où tout va basculer, tous les questionnements qui traversent aujourd’hui encore la société française confrontée à la présence de l’étranger, le bouc émissaire parfait, celui qui apparaît souvent comme une menace dans une société en perte de repères, de certitudes et de confiance en elle-même. Avec mes compagnons habituels, acteurs et techniciens, nous voulons faire entendre ce théâtre qui ose le rire et l’émotion pour témoigner sans juger.

Plaquette saison 2010-11 - MC93 Bobigny