Résolument chorégraphique, ce spectacle réunit des artistes surprenants par leur maîtrise et leur inventivité aussi bien dans le domaine de la danse que dans les autres disciplines de la scène.

Immergée dans l’esthétique soviétique des années 1980, Russia, pièce créée en 2011 par le chorégraphe Marcos Morau, tient à la fois du thriller et du road movie. Ce mystérieux voyage au coeur de la Sibérie met en scène huit danseurs sur un sol glaciaire, traversant un flux d’images empruntées au cinéma muet. Des bribes de phrases en russe, des extraits de musique de Tchaïkovski ou de Stravinski, la composition sonore de North Howling, comme les fragments de textes en insert à l’image, donnent le ton de ce spectacle énergique et décalé. Avec Suède (2008), Maryland (2009), Finlande (2010), Islande (2012), Siena (2013), Russia fait partie du décalogue chorégraphique de la compagnie espagnole La Veronal en quête d’un nouveau mode d’expression narratif. Une démarche où topographie et danse entrent en analogie. Entre danse et montage cinématographique, l’étrange climat du spectacle, inquiétant, ténébreux, est relevé par des accents d’humour. Un puissant mouvement mêlant danses de groupe, duos et solos, dextérité et rythmes frénétiques, s’empare de la scène pour parler de la Russie d’aujourd’hui. Le lac Baïkal, perle de la Sibérie menacée par la pollution, en est la métaphore. En désossant les images de l’Histoire et le vocabulaire de la danse classique, Russia fait de ce voyage un paysage mental riche en émotions qui dépasse son sujet premier pour ouvrir la réflexion sur nos sociétés contemporaines.

Irène Filiberti