Si le poème de Kamau Brathwaite (DreamHaïti, composé en 1994) évoque en premier lieu la tragédie des boat people haïtiens, il nous parle tout autant, par un éternel retour de l’Histoire, des migrants qui aujourd’hui affluent par centaines de milliers du Moyen Orient et d’Afrique. Qu’ils aient été poussés à se jeter sur la mer sur des embarcations de fortune par la guerre, la misère ou la répression politique, et demain, les conditions climatiques, ces hommes, ces femmes et ces enfants qui prennent le risque de la mort pour tenter de vivre, portent la question la plus précieuse qui nous soit posée aujourd’hui.
La promesse de noyade faite aux migrants sur toutes les mers du globe, est-elle l’ultime perspective ouverte par les grandes traversées transatlantiques – celle de la découverte du Nouveau Monde qui fonde notre rapport à l’autre et celles des traites négrières qui fondent notre rapport économique, et qui ont construit le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui ?

C'est cette question que j’ai voulu faire résonner en amenant ce texte à la scène. Il s’agit par la matière sensible du plateau de nous amener à revisiter notre Histoire et à trouver, peut-être, à partir des débris laissés par ce naufrage d’une rencontre fracassée et fracassante, de quoi reconfigurer notre monde ensemble.

Rendant sensible la lumineuse vitalité du rêve de Kamau Brathwaite, se raconte, dans un geste simple, cette histoire complexe qui met en résonance de multiples couches spatio-temporelles.
Sur le plateau un corps prend la vague de l’histoire de plein fouet. Un espace qui vibre, des objets échoués, matières à jouer. La lumière fait sortir l’ombre, parfois, éblouissement du ciel, ou aveuglement intérieur, elle déchire les voiles. Le son, un ciel qui se déchire et l’océan qui engloutit ; matières sonores d’où surgissent le claquement d’une voile, une flamme, le passé de l’histoire ramené au présent par liaison radio. Comme des météorites, des mots objets tombent sur le plateau, résonance de la matière typographique du texte de Brathwaite. Les costumes, fabriqués de tissus glanés, voyagent aussi dans l’histoire. Ils recouvrent comme ils découvrent dans le temps de la représentation