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Racconti di giugno

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mise en scène Pippo Delbono

: Entretien avec Pippo Delbono

par Irène Filiberti

CES RÉCITS DE JUIN SE PRÉSENTENT SOUS UNE FORME PARTICULIÈRE, DE QUOI S’AGIT-IL ?


PIPPO DELBONO Tout a commencé à partir d’une proposition que l’on m’a faite à Rome. J’ai été sollicité pour intervenir en conférence sur le thème de l’amour. Pour m’y préparer, j’ai commencé à travailler ce qui est devenu cet étrange monologue. Dans un certain sens, on peut penser que cela reste proche d’une conférence comme mode de communication. Or ce qui est intéressant, c’est plutôt cette façon de raconter : ce n’est ni tout à fait une conférence, ni tout à fait du théâtre. En réalité, cela se joue dans l’entre deux.
Il m’est difficile de parler de ce travail parce que, mis à part cette forme particulière, nouvelle, on ne sait jamais, à chaque fois où cela nous conduit. Au départ, c’est un récit de vie, de théâtre, de lutte. Je raconte mon propre parcours, les rencontres, Pasolini, Shakespeare. Je parle de spectacles mais aussi ce que signifie faire du théâtre, du rapport à la représentation. Dans Récits de juin, je suis seul sur une chaise, une heure et trente minutes, sans rien. Jusqu’ici, chaque fois que je l’ai présenté, il régnait dans la salle un grand silence, une attention totale. C’est pourquoi je ne me hasarderai pas à dire que ce n’est pas du théâtre. Quand j’ai fait Le Temps des assassins, on aurait pu se demander par exemple si c’était une forme de cabaret, mais les mots sont trop réducteurs pour nommer les choses. Finalement, je ne suis pas certain de vouloir savoir vraiment de quoi il s’agit.
Avec ces Récits de juin, je n’ai jamais eu l’intention de présenter une pièce. L’intérêt réside dans l’expérience même de cet acte, une situation de conversation qui me permet d’aller dans des lieux, des zones, des espaces qui me sont encore réellement inconnus. Ce que je sais, c’est le plaisir que j’éprouve à présenter cette année, ces Récits de juin, parce qu’ils arrivent à un moment juste. Le temps pour moi de poser les pieds au sol, d’imaginer cette pause un peu particulière où je cherche à comprendre ce que j’ai fait jusqu’ici. La réflexion se construit à partir de mon parcours et permet de pointer précisément les éléments les plus importants de cette expérience. Comment j’en suis arrivé au choix de ce théâtre-là, qui parle autrement, à partir d’un autre endroit, qui a développé son propre langage. Avoir fait cette forme-là, de manière peut-être encore plus aiguë, révolutionnaire, parce que la formule reste fondamentalement simple, demeure à mes yeux un véritable engagement, au sens politique du terme. Ce temps de parole donnée est un moment constructif. Je cherche là une vérité, une nécessité. Je cherche à m’adresser à toutes les catégories sociales. C’est peut-être aussi pour cela que ce travail me semble aller en profondeur. Parce que cette forme de présence investie sur scène ne peut vivre que de ce théâtre, c’est-à-dire de cette expérience directe avec les gens qui sont dans la salle. Ce travail requiert une lucidité particulière, pour que jamais cette parole qui circule sur le plateau devienne une pièce, un monologue. Puis quel sens donner au mot « spectacle » aujourd’hui ? J’ai beaucoup de doutes quant à savoir où nous en sommes tous par rapport à cette question.


CELA SIGNIFIE-T-IL QUE VOUS IMPROVISEZ EN FONCTION DE CE QUE VOUS RESSENTEZ DANS L’INSTANT, AVEC LE PUBLIC ?


Le véritable exercice consiste à être dans l’histoire réelle de ma vie, sans user d’aucune métaphore. Non pas de raconter seulement une histoire qui serait la mienne, mais pour et à travers elle, parler du théâtre, de la politique, de la poésie, de ce qui appartient à chacun, mais aussi plus particulièrement à toute une génération et la façon dont elle a pu se situer par rapport à la spiritualité, la liberté, la mort, la maladie, la folie ; ce qui a constitué aussi un parcours de théâtre.
Quand je fais un spectacle « normal », je suis attaché à chaque petit détail car le théâtre de mon point de vue doit être extraordinaire d’intensité. Or dans ce cas, je dois trouver une autre façon d’agir pour ne pas avoir à expliquer ce qui se passe dans les pièces. Je parle, oui. Il y a de la musique, de l’humour, mais il faut se diriger ailleurs aussi, dans ces zones profondes où l’on ne s’attend pas à aller.
Parfois, je pense au texte de Tchekov, Les Méfaits du tabac où l’on retrouve un peu ce type de structure qui oscille du léger au profond. C’est sans doute toujours du théâtre mais de façon tellement modeste, comme quand on va voir quelque chose dont on n’attend rien par exemple. Du coup, je me sens beaucoup plus libre pour entrer sur le plateau. Parfois, il y a des évènements que j’ai honte de raconter mais je le fais quand même, directement, sans aucune médiation. Même ma façon de me préparer avant cette entrée en scène est différente. Quand j’arrive dans un lieu pour présenter ces Récits de juin, je me promène dans la ville et je prends le temps de la visiter longuement, de m’en imprégner, jusqu’à trouver de la joie, de l’harmonie, jusqu’à rejoindre un état de quiétude qui procure une attention particulière aux choses.
Sur la scène, c’est aussi différent d’un spectacle. Il n’y a pas de règles juste des lignes de récit où je dois trouver, établir, une nouvelle relation avec le public. Cela m’amène à l’improvisation aussi. Sans doute d’une façon aussi proche d’un musicien de jazz, lequel pour improviser avec son instrument doit développer une forte qualité d’attention pour pouvoir jouer. Cela me conduit à composer avec des accents comiques pour introduire de la légèreté et ça m’oblige également à inventer une autre façon d’être moi-même afin d’empêcher que ces récits ne deviennent une fiction théâtrale. Pour toutes ces raisons, je dois me mettre en condition de liberté et d’écoute extrême.
Donner la sensation à chacun de participer à quelque chose d’unique. _ Plus on marche sur un fil, plus on risque de tomber, mais plus l’on s’approche aussi de la vérité.


DE QUELLE FAÇON ÉVOQUEZ-VOUS VOTRE PROPRE HISTOIRE ?


Je me remémore certains extraits de spectacles ainsi que mes rencontres avec des auteurs comme avec mes partenaires de vie, bien que je commence par dire que je ne sais pas quoi faire. J’évoque aussi ce qui s’est passé avant de rencontrer Bobó.
Mais ce que je cherche avant tout, c’est comment réassumer un certain théâtre parce qu’il me semble qu’aujourd’hui, nous avons perdu les yeux. De cette façon, il est plus facile de tout mettre en ordre, classifier : art brut, arte povera ou je ne sais quoi. Or je ne crois pas que le rapport au théâtre puisse être autre chose qu’une vision de liberté, et j’éprouve le besoin de l’interroger dans une dimension intime, où l’on ne sait ce qui relève de l’autobiographie.
Cette traversée continue, entre fiction et réalité, fait que l’on ne discerne plus exactement où sont les limites, mais elle concerne chacun de nous, et de ce fait ouvre un autre espace pour parler du monde. Sans quoi, me semble-t-il, ce rapport au théâtre risque de devenir, en terme politique, un gage culturel pour éviter de se confronter à la réalité des choses. Je sens qu’en ce moment, nous avons besoin d’une révolution claire : pour nous qui sommes des artistes, mais aussi pour la vitalité du théâtre. Parce que je crois – et je n’ai pas peur de le dire - que le théâtre est aussi un acte d’amour. Bien sûr, on y trouve de la violence mais on peut aussi avoir le courage d’y être soi-même avec ses blessures, ses fragilités, ses moments solitaires, pour parler avec d’autres et en toute sincérité. Sinon un nouveau mur se dresse. C’est pourquoi je suis content d’être là, avec seulement une chaise, juste pour renouer le contact.
L’Italie est vraiment dans un moment critique, notamment en ce qui concerne la culture, mais cette période délicate va au-delà des frontières. Il me semble que le langage culturel a perdu de sa réelle capacité à parler avec les gens. Il s’est éloigné de la vie. Les artistes sont devenus des bourgeois, qui ont perdu de leur capacité de relation au prochain. La mort, l’exclusion, la catastrophe : il y a une idéologie autour de cela et ces effets ont de la portée.
Je n’ai pas décidé de ma vie. Elle m’a oublié, arrêté, à côté. Elle m’a obligé à rester avec le concret. Cette affaire a peu de choses à voir avec l’intellect. Personne ne cherche à inventer ces choses pour les dire. On les trouve et on les passe, dans la blessure. À travers une douleur réellement touchée, on peut rechercher des sentiments, des états d’être, différents de la joie, de la beauté, du partage, de la simplicité…


Propos recueillis par Irène Filiberti

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