La voix si singulière de Walser m’accompagne depuis quelques années. Mes dernières créations ne reposaient plus sur l'approche d'une oeuvre littéraire unique, mais fonctionnaient sur un principe de choralité de textes glanés ici et là, et qui cohabitaient tant bien que mal sur le plateau. Par goût pour l'élaboration de spectacles aux formes «hybrides», je pensais en avoir fini avec ce principe de travailler une oeuvre à la fois. Mais Walser s'est imposé, et nous voilà avec l'équipe artistique à voyager durant deux saisons avec cet auteur !

Qu'est ce qui fait l'unicité et la force de ses écrits ? Sans doute avant tout, cette manière de penser le rapport entre l'individu et le monde, cette manière si inattendue (certains pourraient dire si inappropriée) de vouloir le rapport au monde, aux choses et aux êtres sur le mode du retrait, de l'humilité, de la gentillesse, de la délicatesse, de l'abstinence et de la sublimation.... Walser propose une réponse totalement « inadéquate » au monde moderne, et par là invente réellement une forme, une poétique...

Cette oeuvre, écrite par un homme qui vécut dans la misère et l'incompréhension, habité par des démons qui vont le mener à l'internement, propose une sorte de tentative de réconciliation avec le monde, une folie si l'on songe à la période où l'oeuvre est produite.

Sublimer le monde, glisser à sa surface, refuser toute forme de compromission, mais sur un mode mineur et délicat, sont les stratégies inventées par les personnages et par Walser lui-même pour survivre en ce début de siècle. Se faire humble est la réponse qu'il offre au XXe siècle et à ses cortèges d'excès, de violences, d'exacerbations consuméristes, et d'individualisme forcené... une réponse en total décalage mais en total devenir, si l'on songe au monde dans lequel nous évoluons en ce début de siècle nouveau !

Mais ses textes sont aussi riches d'une langue magnifique, de situations théâtrales étranges, drôles, absurdes. Le propos du travail sur ces deux dialogues avec R.W. n'est pas de rendre compte ou de raconter son oeuvre. Il s'agit d'imaginer une forme qui ne soit pas illustrative. Considérer les matériaux, les fragments de textes et de situations glanées dans ses écrits comme des sortes «d'ouvroirs poétiques», une matière avec laquelle nous allons entrer en dialogue. Il s'agit d'inventer un récit, où le plateau et les acteurs sont le lieu d'une forme poétique ouverte et construite à partir des sensations, des images et des atmosphères walsériennes... Nous allons être à la recherche d'un alphabet singulier, empli d'abstractions, de menus détails et dans un perpétuel louvoiement entre le narratif et l'abstrait, entre le rêve et la réalité.

Pascal Crochet

novembre 2009