« C’est l’histoire de deux hommes qui traversent le Monde, qui le sillonnent sans raison, perdus, égarés, au gré de l’événement, renvoyés d’un personnage à un autre, bousculés, ballotés comme pris dans une incessante tempête.
C’est l’histoire d’un Fou et de son fidèle valet, tout le monde connaît ça, Innocent et stupide.
C’est l’histoire d’un Fou, perdu au milieu du Monde des gens sensés, l’histoire d’un Fou, solitaire dans le Monde des Raisonnables.
(Le valet, stupide et lâche, et toute la tendresse avec lui, le valet le protège, mine de rien, le sauve sans cesse : lui parle bien sûr, mais surtout dans ce Monde-là où chacun court à sa propre passion, mais surtout l’écoute et lui répond.)

Le Héros (c’est l’histoire d’un héros, les Aventures d’un héros), le plus grand, maigre, tout le monde sait cela aussi, le Héros ne comprend rien, traverse la vie des autres sans savoir, comprend de travers : c’est de cela qu’il est fou, et c’est de cela qu’il devient héros, aventurier sans le vouloir.

Parfois aussi, fou au milieu du Monde, il est le plus sensé lorsque les hommes déraisonnent : venu trop tard, né d’une autre vie disparue aujourd’hui, il découvre de nouvelles règles, un nouveau jeu, plus rien ne correspond à rien. C’est cela qui lui fait écarquiller grand les yeux et c’est de cela que les autres rient.

C’est encore un voyage terriblement douloureux, tellement cruel, nous n’apprenons rien à personne, être seul, la risée des gens ensemble, seulement, à peine, seulement aimés des plus fous que soi, des chiens et des idiots, et humiliés par les Rieurs, vous jetant des pierres et crachant au visage.

Aussi l’Errance, naturellement, par « monts et par vaux », bien sûr, et l’amour d’une Belle, indigne, oui.

Et l’Espagne, j’allais le dire. Sans qu’on sache très bien, avouons, sans qu’on sache très bien de quoi elle fut faite.

Ce que dit le livre, le premier et le second réunis, c’est la traversée, la rencontre par un fou de près de six cents personnages, masse de gens, Nation et Moment d’Histoire, un contre tous, une lance dans une main, un Imbécile derrière et une vieille jument en très mauvais état comme unique moyen de locomotion. C’est ce que nous verrons, sans oublier, surtout, sans oublier le lecteur, témoin essentiel, spectateur dans l’affaire qui nous occupe.

Dossier de présentation de Quichotte par l'ensemble Justiniana

Jean-Luc Lagarce