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Quand Mamie

+ d'infos sur le texte de Noëlle Revaz
mise en scène Denis Maillefer

: Note d’intention

Parce que
Un jour, une auteure que tu admires te donne un texte, une pièce à deux voix. La crainte, c’est de ne pas aimer, par malchance, par goût, parce que ce n’est pas le / ton moment de lire, travailler, monter cela. Mais, tout de suite, le texte est emportant, important, ne te lâche pas, dans cette insidieuse et obsédante variation. Alors tu décides de la faire, parce que...


Parce que, d’abord, cela parle d’une chose qui abîme nos vies, en tous les cas ici, en Occident. Cette chose est cette impossibilité absolue de vivre, penser, aimer au présent. Cette manière que tu as, et les autres avec toi, d’être uniquement ici et maintenant, avec / dans le présent. Tu penses souvent que le planning te projette sans cesse dans le futur. Tu te sens malmené par ce que tu vas faire. Organiser, planifier, prévoir. Au travail et avec tes amours, tes enfants, tes amis. Ce stress mange le temps, et tu n’en profites pas. Ce sera toujours mieux dans une heure, dans un jour, dans six mois, dans dix ans, tu te dis. Le futur est toujours paradisiaque, voire simplement plus agréable. Ça sera plus calme en janvier, tu penses, puis en février, et surtout en juillet.


Parce que cela se passe / parle ici, dans les mots et la situation. La langue emprunte, indirectement, avec malice et finesse, des expressions et des rythmes de ce côté-ci du français romandisé. Tu entends la logorrhée de certaines dames vaudoises qui parlent en boucle. La langue tourne, creuse, fouille, épuise la situation, dit l’aveuglement et l’obsession. Elle te raconte les rêves de futurs lumineux, mais aussi, plus simplement, de maisons où l’on sera bien, ma chérie. Tu imagines les rêves de villas du côté de la zone de Villars-Sainte-Croix, de Rue, de Savigny, de Saignelégier, de toutes ces zones semblables traversées à vélo. Rêver de la maison, c’est espérer dans le futur. Mais l’avoir… Que reste-t-il des rêves lorsque seule subsiste la perspective du gazon à tondre ? C’est sans mépris que cela est écrit, mais avec compassion. Une compassion saignante, désespérante et drôle, très souvent. Tu imagines les rêves de ce pays (et d’autres bien sûr), réaffirmés lors des dernières élections. Rêver de sécurité, de se savoir protégé et chez soi, tranquille et satisfait, repu de désirs désormais consommés. Ce n’est pas si simple, bien sûr. Et c’est parce que c’est compliqué que tournent dans les têtes les espoirs lancinants du texte, comme des trop-pleins d’impuissance, d’absence de jouissance et d’amours, d’incapacité à être dans ce monde comme un autre avec les autres.


Parce que, indirectement ou non, tu reviens sans cesse aux textes monologués, aux personnes qui se racontent, qui disent «je», ou «on» (en l’occurrence). Les formes dialoguées te semblent artificielles. Tu préfères les petites cérémonies où l’on vient (se) raconter à ceux qui sont assis en face pour voir et écouter. Parce que ce que tu cherches de simple et direct entre le plateau et la salle peut se lire dans les lignes de «Quand Mamie». Ne pas faire semblant que le public n’est pas là te semble une nécessité absolue. Dans «Quand Mamie», la femme raconte à son mari / ami, mais elle s’adresse surtout à nous. Nous sommes les témoins nécessaires de son désir futur.


Parce que c’est pour Julia. Tu pourrais même écrire, d’abord parce que c’est pour Julia. C’est une bonne raison pour faire ce «Quand Mamie» de digressions vertigineuses, d’absurdité tellement empoignée. Julia Perrazzini. Tu l’entends dire les mots de Noëlle, dans cette agitation maniaque, dans cette pensée sans cesse identique et sans cesse renouvelée. Dans ce contentement volontariste et insistant.


Dans cette drôlerie épouvantable, surtout, avec la fausse maladresse de Julia sur le plateau. Avec cette capacité à ne pas ressembler à une jeune actrice, à ne pas chercher à plaire, à respirer un autre air que dans la vie, l’air du plateau, celui que respirent les grands acteurs, débordant d’humanité et d’animalité. Avec cette manière que Julia a de changer le tempo de ce qu’elle dit et fait sur scène, à s’emparer des mots et des faits, et à se laisser traverser par la noirceur ou la lumière. Monter un texte pour une actrice (et pour le plaisir qu’elle va procurer, bien sûr), c’est une bonne raison, tu trouves.


Parce que c’est un texte simplement magnifique, virtuose, dans une écriture rare, d’ici, rare ici, que Noëlle est une auteure incroyablement talentueuse, et que l’on n’entend pas assez sa voix si singulière.


Comment
Avec deux acteurs. Avec Julia, comme on l’a vu. Mais aussi avec un autre, un homme pour faire le couple. Un acteur qui dira peu et écoutera, entendra, acquiescera, répétera quelques mots. Un acteur sans qui elle ne parlerait pas, une présence silencieuse héritée de Beckett, dans le silence apparent.


Dans un espace vaste. La pièce d’un appartement. Mais trop grande pour être vraie. Et pas réaliste. Peut-être une commode immense avec 234 tiroirs desquels sortent des objets improbables. Une transfiguration d’espace réel, dans lequel on peut jouer, bouger, avoir des activités. Elle parle, mais s’agite, esquisse des actions qui n’aboutissent pas, incapable de réellement faire quelque chose, mais incapable également de rester immobile, alors que lui est rivé sur sa chaise, son fauteuil, et l’écoute, la regarde.


Avec un choeur muet de vieilles dames (amateurs), qui pourraient être Mamie, les fantômes de Mamie. Une d’elles traverse le plateau, ressort, et puis une autre fait de même, vêtue de façon similaire, puis une autre, puis sept, neuf, douze (?). Elles hantent le lieu, déambulent en une étrange et (dés)organisée chorégraphie.


Des micros HF, pour entendre le grain, la nuance, la douceur de la voix, sans devoir la porter ; pour jouer sans jouer, apparemment, pour ne pas entendre les voix du théâtre, trop fortes et désincarnées.


Une musique créée avec délicatesse par Stéphane Vecchione, qui donnera à «Quand Mamie» un ton particulier et je l’espère inoubliable.

Denis Maillefer

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