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Pour un oui ou pour un non

mise en scène Gilles Laubert

: Entretien

Entretien avec Gilles-Souleymane Laubert


Pourquoi avez-vous choisi ce texte de Nathalie Sarraute ?


Nathalie Sarraute est une auteure qui m'a toujours passionné notamment parce qu'elle traite beaucoup les questions de l'altérité. En effet, peut-être en raison de sa judéité, elle dénonce la problématique du bouc émissaire, des mises à l’index. Cette attitude est centrale dans son œuvre. Pour avoir été souvent confronté à l'intolérance, j'y suis particulièrement sensible.


Comment est né ce spectacle ?


Au départ, Philippe Lüscher voulait regrouper Richard Vachoux et André Steiger pour célébrer un pan de l'histoire du théâtre romand. Il m'a contacté pour la mise en scène puis le projet s'est modifié en raison des problèmes de planning des deux comédiens. Richard Vachoux qui devait jouer le rôle de H1 m’a demandé de ne jouer que le rôle de H3.


Quelles sont vos intentions de mise en scène ?


J'ai envie de sortir cette pièce d'un code de représentation BCBG et très parisien. C'est merveilleux de voir André Dussolier et Jean-Louis Trintignant jouer mais c'est un théâtre un peu trop "salonnard". Pour un oui ou pour un non n'est pas une pièce lisse, c'est un règlement de compte sanglant. H1 vient demander des comptes à H2 après quarante ans d'amitié. Il y a beaucoup de cruauté dans le rapport entre ces deux hommes car ce qui s'effondre dans la pièce c'est une relation amicale. Les bases de celle-ci n'étaient pas justes mais les deux amis ont toujours fait comme si, et ceci, jusqu'à la crise.


Dans ce contexte, j'ai envie de trouver une vraie radicalité dans le rapport, de ne pas faire du "boulevardisme" mais plutôt de mettre en scène un règlement de compte à la Strindberg. L'humour reste présent dans Pour un oui ou pour un non, notamment quand H2 raconte à H1 sa visite chez lui: on se croirait dans Mon oncle de Tati.


Qu'elle est l'origine de cet affrontement ?


Leur relation s’est détériorée le jour où H1 a dit à H2, "c'est bien, ça" avec un air de suffisance - de condescendance, dit-on dans le texte. Ça n'a l'air de rien, mais c'est terrible! Il m'est arrivé d'être au chômage, et on m'a dit: "Tu fais du théâtre, c'est bien ça. Tu ne voudrais pas faire de l'animation dans les magasins ?" La condescendance est pire que la pitié, c'est une négation de l'identité agrémentée de paternalisme.


H1 et H2 sont des êtres de langage. Ils sont issus de la même classe sociale, mais ils ont des manières différentes d'envisager la vie. L'un fait son chemin dans l'appareil, il possède pavillon et famille alors que l'autre vit en marge dans son petit appartement. L'un est dans le social, l'autre pas vraiment. Un affrontement entre matérialisme et idéalisme prend forme. La confrontation devient politique et les différences fondamentales. Le génie de Nathalie Sarraute réside dans cette scène où H1 et H2 sont sur un glacier. H2 s'arrête pour regarder le paysage et fait attendre tout le monde. H1 lui dit: "Il y a des cartes postales, en bas, tu n'as qu'à en acheter!" Cet épisode exprime parfaitement le conflit qui les oppose.


Est-ce que le personnage de H2 représente la figure de l'artiste?


Je n'ai pas envie d'enfermer H2 dans la figure de l'artiste. Je n'aime pas quand la mise en scène véhicule du message, du prêt à penser. Il faut qu'elle soit polysémique. C'est vrai que H1 et H2, ce n'est pas le même continent, mais je ne vais pas habiller H2 avec une écharpe rouge et des cheveux longs! La confrontation des deux personnages est de l'ordre du politique dans le sens du vivre ensemble, du vivre ensemble dans le contradictoire, avec de l’altérité en face.


Pour un oui ou pour un non est-elle une pièce pessimiste?


Elle serait pessimiste si elle en restait au statu quo. Mais il se passe quelque chose. Or, du moment où il y a une évolution, il n'y a pas de pessimisme. Le théâtre est lié au vivre ensemble, au politique, aux moments où l'histoire bouge, où ça craque de toutes parts. C’est souvent la mort du héros qui ouvre sur du nouveau et c'est la rupture qui fait avancer la société.


Est-ce qu'il y a un aspect sociologique dans Pour un oui ou pour un non?


Tout ce qui est théâtre est fatalement sociologique dans le sens où c'est une représentation du vivre en commun. Dans Pour un oui ou pour un non, on a affaire à des intellos, à des bobos en fait. Il n'y pas de lutte des classes mais une opposition entre deux positions de vie. Le public va forcément se reconnaître. Lorsque H1 et H2 demandent leur avis à H3 et F à propos de leur conflit, la question du rapport à l'autre et de l'altérité est soulevée. Le couple de voisins suggère qu'on pourrait enfermer H2. Ils sont prêts à le rayer de la carte. C'est un véritable tribunal populaire qui statue. Le bien pensant voue aux gémonies le non politiquement correct. Le totalitarisme reste malgré tout sous-jacent, tout comme l'omniprésence de l'opinion publique. Il y a une réflexion sur le totalitarisme, pas sur le totalitarisme d'Etat, mais plutôt sur la "doxa" de l'opinion commune.


Quel est le rôle des acteurs dans la création de cette pièce?


Il est très important. Le théâtre de Nathalie Sarraute est un théâtre d'acteurs. On ne peut pas utiliser d'effets de mise en scène. Le spectaculaire est ce qui se noue pendant un silence, dans la rapidité d'une réplique, dans un geste réprimé. Tout ce qui n'est pas dans le rapport de jeu doit être éliminé. Le spectaculaire existe dans le silence, dans la rupture de parole. Nathalie Sarraute écrit sa pièce comme une partition, avec des points de suspension et une ponctuation très précise. Il y a des profondeurs dans cette ponctuation. C’est ce que nous allons essayer de rendre dans ce spectacle et il n’y a que les comédiens qui puissent le faire. En fait, plus qu’une mise en scène avec des effets, c’est avant tout de la direction du jeu des acteurs que je vais tenter de faire pour rendre toutes les épaisseurs du texte de Sarraute.


Comment qualifier cette pièce ?


Cette pièce est un pur objet du théâtre classique dans le sens qu'elle regroupe les trois unités: de lieu, de temps et d'action. Elle se concentre sur les rapports entre les gens. Elle part de rien mais renverse des montagnes en appuyant là où cela fait mal, à savoir : la condescendance, le mépris et le manque de respect. La pièce insiste sur la notion d'envie, sur la rivalité mais aussi sur le lien presque amoureux qui peut unir deux amis. Elle pose la question du faux-semblant, du fait qu'on ne dit jamais ce qu'on pense réellement et du travail lié à la notion de compromis. Quelque part, après s'être choqué frontalement, la relation entre ces deux hommes va évoluer. Il y a quelque chose qui change.


Comme le poème de Verlaine, il y a quelque chose dans Pour un oui ou pour un non qui laboure l'âme.

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